Hors Grands Crus Classé, le vin de Bordeaux va très mal » pose dans une longue tribune au vitriol le consultant Franck Dubourdieu (ingénieur agronome, œnologue et ancien négociant). Ciblant notamment la stratégie marketing conduite par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), il tacle « comme un aveu criant d’échec de sa politique pendant 20 ans, le recours à l’arrachage et à la distillation. Obtenir donc des primes (une fois encore) pour encourager les vignerons à cesser leur activité ou à brûler leurs récoltes ! » Refaisant son historique du Bordeaux bashing*, Franck Dubourdieu propose de nouvelles orientations « pour retrouver le Bordeaux Loving ».
Pour séduire les consommateurs, il faudra pour lui « des années et une réorientation totale de la communication » afin de « s’attaquer au chantier colossal de réparation de l’image du vin de Bordeaux. Aujourd'hui, il est regrettable qu'elle soit celle d'un vin cher ou bien d'un vin industriel** ». Souhaitant en finir avec la « marque ombrelle » Bordeaux, qui masque pour lui la richesse des vins de Gironde (« comme si le wagon de queue était capable de tirer l'ensemble du train ! »), il estime que « le discours et la promotion doivent être centrés sur ce pôle d’excellence du vin de Bordeaux qui offre un des meilleurs rapports qualité/prix de France sinon du monde ». Des valeurs pourtant portées par le CIVB, comme depuis 2014 par la campagne de promotion de la diversité et de l’accessibilité des vins de Bordeaux par le CIVB, ou avec l'initiative de recourir à des influenceurs en 2020-2021, ou avec les opérations pour être plus présent sur le marché local. L'idée étant de gagner en proximité avec le consommateur, comme le visent les tournées des vins de Bordeaux sur le marché français (récemment reportées par la crise covid). Des initiatives qui ne semblent pas trouver grâce aux yeux de Franck Dubourdieu. Pour qui « la mise en avant de l'unique appellation Bordeaux va contribuer à renforcer l'idée que Bordeaux est un vignoble "semi-industriel", tributaire des pesticides de synthèse ».
Autre point critiqué par le consultant, la stratégie de produit de grande consommation suivie par des opérateurs misant sur des marques emblématiques. « Au moment où la bière axe son développement sur les micro-brasseries, Bordeaux, à contre-courant, mène une politique destinée à favoriser la mise en place de grandes marques » critique Franck Dubourdieu, relevant que « pour développer une marque, le prix de revient ne doit pas dépasser 20 à 25 % du prix de vente du produit. Le solde servant à payer la publicité, la promotion et la communication. Or, dans notre pays, les coûts de production sont tels qu’ils deviennent insupportables pour l’AOC de base. La raison pour laquelle par exemple, le groupe Pernod Ricard, à la recherche de vraies marques dans le vin, n'a jamais investi en France. Et c'est pourquoi de nombreux acteurs locaux, comme Bernard Magrez qui avait cru à cette belle histoire, ont démissionné et revendu leurs marques, ou tout simplement les ont abandonnées. »
Ne mettant pas de gants, Franck Dubourdieu souhaite l'arrivée d’« une nouvelle génération de vignerons indépendants, de tous les crus, mettant leur vin en bouteille et le vendant, [qui] doit prendre le pouvoir au sein du CIVB (en alternance avec des négociants engagés dans cette voie) ».
* : Un phénomène de « désamour » alimenté par « la montée spectaculaire des prix des Grands Crus Classés et l’effondrement régulier du cours du vin vendu en vrac de l’AOC Bordeaux […] alors que celui-ci a triplé de surface depuis les années 1950 et qu’il est en surproduction endémique [et que] les crises de mévente vont se succéder à cause de la concurrence mondiale, de la baisse de la consommation et de l’image dégradée véhiculée par les vins de Bordeaux. »
** : « Entre ceux, parmi les Grands Crus Classés, qui n’appartiennent plus à des vignerons mais à des grands groupes nationaux ou étrangers et la mise en avant de l’AOC Bordeaux par le CIVB pour favoriser l’émergence des "marques modernes", notre vignoble est vu soit comme appartenant à la finance comme un vin cher, soit comme un vin semi-industriel » avance Franck Dubourdieu.