AE pour les intimes, « le tribunal des activités économiques vise à expérimenter une juridiction unique, compétente pour la quasi-totalité des procédures collectives » explique à Vitisphere le ministère de la Justice. Émanant de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, cette nouvelle juridiction est en cours de définition dans un projet de décret pour l’expérimenter. Devant « être soumis dans les prochaines semaines au conseil d’État », ce projet va être soumis à « des consultations » pour définir « notamment les modalités de mise en œuvre, de gouvernance, de suivi et d'évaluation de l’expérimentation » indique la chancellerie.
En l’état, ce projet n’est pas sans inquiéter dans le vignoble où les difficultés financières vont croissantes. À Bordeaux, le collectif Viti 33 demande dans une lettre au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, « l'abandon de la réforme de gestion des procédures collectives agricole qui prévoit de transférer la compétence aux tribunaux de Commerce. Ces derniers ne sont pas du tout adaptés à la situation. Nous voulons conserver la compétence du tribunal judiciaire pour l'Agriculture, particulièrement en cette période très tendue sur la conjoncture économique agricole. » En témoigne un vignoble bordelais : « le tribunal judiciaire a une grande expérience, il est bienveillant, et n’applique pas du tout les mêmes critères qu’un tribunal de commerce. Ce n’est vraiment pas le moment de tester le nouveau jouet. On conserve ce qui fonctionne plutôt pas mal pour l’agriculture. »
« Pour avoir été confronté à procédure collective, les tribunaux judiciaires ont une réelle compétence et un vrai discernement de ce qu’est le secteur agricole comparativement aux autres secteurs économiques. C’est difficilement remplaçable » abonde Paul Gaudin, le vice-président de l’association Solidarité Paysan Aquitaine. Partageant ses réticences avec le mouvement national Solidarité Paysan, l’expert craint « une forme d’idéalisme [dans le] regroupement de toutes les affaires économiques, mais c’est omettre que dans le secteur agricole les situations sont particulières (avec des rotations de capitaux plus lentes par exemple) et c’est omettre que les coûts de fonctionnement type tribunal de commerce mettra sur le bord de la route de nos campagnes encore plus de morts (avec un fonctionnement plus coûteux) ».
Sur la crainte de perte de compétences, le ministère de la Justice se veut rassurant : « les juges consulaires sont spécialisés dans les procédures collectives et disposent d’une connaissance fine des difficultés professionnelles et personnelles que peuvent rencontrer agriculteurs, commerçants ou artisans. Les juridictions commerciales ont une culture de la prévention et de l’accompagnement des entrepreneurs en difficulté, dont les agriculteurs pourront bénéficier. » La chancellerie estimant que « cette expérimentation présente un intérêt pour les professions agricoles car elle modifie la compétence juridictionnelle sans modifier les règles procédurales spécifiques applicables aux agriculteurs (code rural et de la pêche maritime, et livre VI du code de commerce notamment), et dont ils continueront de bénéficier. »
« Si les règles de procédure spécifiques aux agriculteurs sont conservées (et c'est vraiment le strict minimum !), c'est bien le changement de compétence juridictionnelle qui nous pose problème, car nous sommes sur deux juridictions bien différentes, qui ont des principes de fonctionnement presque opposés » maintient Solidarité Paysan, pour qui « les juges consulaires de tribunaux de commerce, malgré leur habitude de traiter les procédures collectives, ont des taux de liquidation judiciaire plus important que les juridictions civiles. Ce sont des opérateurs privés, commerçants ou artisans (et agriculteurs dans les TAE à venir) qui ne sont pas nécessairement neutres dans leur approche et ce ne sont pas des magistrats professionnels. » En fait, « ce n'est pas tant un problème de compétence que nous craignons, qu'un manque de souplesse, de bienveillance et de compréhension » ajoute l’association, rapportant que « les observations d'audience au tribunal judiciaire et au tribunal de commerce démontrent une vraie différence sur ces points dans la manière d'aborder la situation. Des garde-fous existent, mais l'on sait bien qu'ils ne sont pas si simples à utiliser (récusation, dépaysement, sanctions en cas de conflits d’intérêts etc.). »
Concernant le coût de la procédure, le ministère indique que « c’est notamment afin de ne pas impacter les entreprises agricoles que le ministre de la Justice avait indiqué au parlement, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation, que les petites entreprises ne seront pas assujetties à la contribution prévue à l’article 7 du texte (un amendement a été introduit afin notamment d’exonérer « les personnes physiques et les personnes morales de droit privé employant moins de 250 salariés). »
Si « les dernières rédactions ont permis de dispenser un certain nombre de justiciables de la contribution », Solidarité Paysan pointe que « les personnes accompagnées en procédure ne seront donc vraisemblablement pas concernées par un surcoût par rapport à la situation actuelle. Pour autant cette question du coût de l'accès à la justice reste en filigrane ! » D’autant plus que les besoins s’annoncent croissants dans de nombreux vignobles. « Depuis 3 à 4 ans, nous avons une augmentation permanente des demandes d’aides. Depuis 2 à 3 mois, la croissance est exponentielle » rapporte Paul Gaudin en Aquitaine, alertant que « si l’augmentation enregistrée depuis le début année se poursuit, on aura du mal à répondre à toutes les demandes. »