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Contre le bullshit managérial, adoptez les gestes barrière !

Le bullshit managérial contemporain est une plaie pour l'entreprise, explique Christophe Genoud, auteur de « Leadership, agilité, bonheur au travail… bullshit ! »*.

Le bullshit managérial se répand dans de nombreuses entreprises.
Le bullshit managérial se répand dans de nombreuses entreprises. (Shutterstock)
Publié le 16 mai 2024 à 14:00

Le bullshit managérial contemporain travestit la nature profonde des organisations modernes.

Au fur et à mesure de l'approfondissement de leur nature bureaucratique, nos organisations sont de plus en plus difficiles à transformer. Fortes de ce constat, les conceptions modernes du management mettent la pression sur l'individu qui doit se transformer dans l'espoir que l'organisation à laquelle il appartient se transformera comme par magie. On consacre ainsi la perte de repère de l'organisation qui délègue aux individus ce qui est le coeur de son action : organiser. Il faut y voir l'origine même de la diffusion du bullshit managérial. C'est la première conclusion à tirer de ce voyage en absurdie.

Les présupposés idéologiques qui sous-tendent le bullshit managérial n'émancipent pas les individus, mais les aliènent

La deuxième est qu'il faut clairement dénoncer le fait que derrière les mots positifs et les approches bienveillantes, les théories de l'action et les présupposés idéologiques qui sous-tendent le bullshit managérial n'émancipent pas les individus, mais les aliènent.

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« Les théories qui fondent le management se veulent modernes, alors que l'efficacité du management repose sur des dimensions archaïques, universelles et pragmatiques. » C'est la troisième conclusion de cette plongée dans la pratique et la littérature managériale.

Pas une science

Au terme de ce parcours, il nous faut encore rappeler une évidence : le management tel qu'il est proposé par la littérature managériale contemporaine n'est pas une science, pour au moins trois raisons :

> Les bullshiteurs du management ne s'embarrassent pas de formuler des hypothèses à tester, de procéder à des enquêtes empiriques solidement construites et menées. Ils énoncent des platitudes au mieux fondées sur des approximations ou des analogies pourries, au pire sur du vent.

> Ces mêmes bullshiteurs ne formulent pas des théories explicatives du comportement des acteurs dans les organisations, mais décrètent des axiomes abstraits censés guider l'action et inventent des méthodes ou des outils, la plupart du temps mal fondés ou aporétiques.

> Enfin, ces méthodes et ces outils étant toujours dépendants du contexte organisationnel, leurs prescriptions ne sont pas fondées sur la vérité de leur contenu, mais sur leur utilité sociale qui est d'obtenir plus de performance et d'efficacité.

Si l'on veut réduire la prégnance du bullshit managérial dans la vie de nos organisations et revaloriser le management on peut faire plusieurs choses.

Fermer les business schools pour les remplacer par des « écoles de l'organisation »

Premièrement, il faut adopter une conception interactionniste ou transactionnelle et non transformationnelle de l'exercice du management. Cela nécessite de jeter aux orties les fadaises sur le leadership, le bonheur au travail, les mindsets, la bienveillance ou le développement personnel et de leur substituer une conception rationaliste du comportement des acteurs dans les organisations. Ce n'est que sur cette base que l'on peut raisonnablement concevoir des stratégies d'action managériale.

Cela passe, deuxièmement, par remettre l'organisation, sa réalité, sa dureté, ses contradictions et ses dynamiques internes, au centre de l'enseignement du management. Une solution radicale serait de fermer les business schools pour les remplacer par des « écoles de l'organisation » dans lesquelles la sociologie, l'anthropologie, la psychologie sociale, la science politique, mais aussi, l'histoire, la philosophie et l'histoire des idées seraient enseignées faisant de ces lieux de formation des sanctuaires des « Humanités ».

Les gestes barrières contre la diffusion du bullshit managérial

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Enfin, il nous faut inlassablement appliquer quelques gestes barrières pour lutter contre la diffusion du bullshit managérial. En voici quelques-uns en vrac :

> Rire : le rire et l'ironie face au fumeux sont une arme redoutable, elle désarme l'interlocuteur. Face à une énormité énoncée avec aplomb, el rire qu'il soit discret ou sonore brise le charme et introduit une rupture brutale. Agir ainsi, c'est renouer avec la philosophie cynique qui vise à dévoiler le réel dans son absurdité et à dénoncer le conformisme en ayant recours à la provocation et la transgression. Armes de destruction massive, l'ironie et le rire sont difficiles à manier et requièrent un certain courage pour ne pas dire un goût du risque .

> Faire disparaître les bullshit jobs: les chief happiness officers, chamans d'entreprises, organisologues et autres thought leaders sont des puits sans fond de bullshit. C'est même leur fonds de commerce. Supprimer leurs postes ou leur barrer l'entrée de vos organisations font partie des gestes barrières salutaires pour la santé de votre organisation et celle de vos collaborateurs.

> Insister pour obtenir des précisions : un concept ou une théorie ne sont pas compréhensibles ? Exigez des explications, un développement de l'argument. Faites suer le bullshiteur, ne le lâchez pas tant que son propos n'est pas compréhensible. Ce n'est pas vous qui êtes « trop bête » pour comprendre, c'est lui qui n'est pas clair ou qui vous enfume.

> Exiger des références et un reality check : dans le même ordre d'idée, les affirmations gratuites et sans références doivent faire l'objet d'une demande de complément, de références théoriques et empiriques. Un propos fumeux ou abstrait doit pouvoir s'appuyer sur des exemples concrets et des références. Sinon, c'est du pipeau.

> Retourner le propos contre le bullshiteur et raisonner par l'absurde : prenez au mot le bullshiteur et présentez son argument en raisonnant par l'absurde ou en poussant son « raisonnement » jusqu'au bout de sa logique et demandez-lui si vous l'avez bien compris. Souvent, le bullshiteur s'embrouille, répond à côté ou change de sujet. Il est démasqué.

Pas sûr que nous éradiquerons le bullshit managérial, mais il est possible de limiter les espaces de sa diffusion. C'est déjà ça.

*Ce texte est extrait de « Leadership, agilité, bonheur au travail… bullshit ! » publié aux éditions Vuibert, 208 pages, 21 euros.

Christophe Genoud est l'auteur de « Leadership, agilité, bonheur au travail… bullshit ! » paru aux éditions Vuibert.

Christophe Genoud est l'auteur de « Leadership, agilité, bonheur au travail… bullshit ! » paru aux éditions Vuibert.DR/Vuibert

L'auteur

Politologue de formation, Christophe Genoud est manager dans le secteur public. Il enseigne l'innovation publique et les théories de la décision à la Haute Ecole de Gestion de Genève. Auteur du blog Chroniques managériales sur les pages web du quotidien Le Temps, il y mène une réflexion sur l'art de conduire des équipes.

Christophe Genoud

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