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Interview

« La France est aujourd'hui un pays pro business qui investit énormément »

Malgré l'actuel raffermissement des taux, le directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq, se montre résolument confiant et ambitieux pour les entrepreneurs tricolores. Ils restent selon lui « la » solution ainsi que le maillon fondamental à la transformation et la modernisation du pays.

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance.
Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. (Georges Vignal)

Par Etienne Thierry-Aymé

Publié le 4 sept. 2023 à 08:01Mis à jour le 4 sept. 2023 à 12:04

En cette période de crises qui s'enchaînent, quel bilan dressez-vous de la santé des entreprises tricolores, et quelles perspectives économiques tirez-vous, en particulier des start-up, scale-up ou autres ETI ?

Pour les entreprises qui sont déjà dans les portefeuilles et ont déjà levé des fonds cela va aller. Elles vont avoir les moyens de se déployer. Pour celles qui ne sont pas encore dans les portefeuilles, ce sera plus difficile, dans le moment présent avec l' augmentation des taux . Enfin, pour celles qui vont devoir relever, avec leurs propres fonds, elles pourront le faire, puisque les fonds abondent d'argent. Il y a du capital disponible, prêt à être investi, de l'ordre de dizaines de milliards d'euros.

Certains dirigeants vont-ils être enclins, selon vous, à ralentir leur transformation pour se concentrer sur la santé économique de leur entreprise, ou, au contraire, à accélérer pour demeurer compétitifs ?

Il y a aujourd'hui un très léger ralentissement des montants investis , lié à l'augmentation des taux d'intérêt, beaucoup plus élevés qu'auparavant, donc cela pèse, en effet, sur les trésoreries. Pas au point, néanmoins, de bloquer l'économie française. Il existe un léger tassement. Mais vraiment rien d'inquiétant. Il y a encore pratiquement un entrepreneur sur deux qui souhaite investir ! Un chiffre qui n'a pas bougé depuis l'année dernière. Dans ce contexte de durcissement significatif des taux, l'économie française et les entreprises françaises résistent, sont résilientes… De plus en plus de TPE PME vont augmenter leurs investissements verts .

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Une résilience qui passe aussi par une vraie volonté de réindustrialisation ?

Il y a effectivement un mouvement dans lequel les chaînes d'approvisionnement sont redessinées, de manière que les entreprises soient moins dépendantes de la Chine en particulier, et plus généralement de l'Asie. Ce qui ne veut pas dire qu'il y a un mouvement de relocalisation généralisée. Cela veut dire qu'il y a une stratégie de « derisking » de la chaîne d'approvisionnement qui, pour partie, profite à la France.

Le monde entier le reconnaît, la France est aujourd'hui un pays qui fait du keynésianisme de l'investissement.

Par ailleurs, pour tous les nouveaux projets, la question de la légitimité de les installer en France n'est plus traitée systématiquement par la négative, comme c'était le cas auparavant. Autrement dit, on a le droit de poser la question : « Pourquoi pas la France ? » Cela a cessé d'être ridicule de poser cette question. Alors que ça l'était dans les années 2000. Et, il est encore moins ridicule de répondre aujourd'hui : « Oui, en effet, ce sera la France ! » Par conséquent, le nombre d'usines qui ouvrent est significativement supérieur au nombre d'usines qui ferment en France.

Et, pourquoi la France alors ?

C'est multifactoriel. D'une part, car c'est aujourd'hui un pays « pro » business, qui investit énormément : entre le plan de relance et le plan France 2030, ce sont, en tout, 84 milliards d'euros. C'est gigantesque. Et, le monde entier le reconnaît, la France est aujourd'hui un pays qui fait du keynésianisme de l'investissement. La France est aussi un pays où il y a énormément de talents technologiques : la French Tech l'a montré. Un pays où les infrastructures sont très bonnes, où les métropoles de province sont très équipées - avec beaucoup de soutien des régions - et où l'électricité est décarbonée. Ce qui est très important pour les nouveaux investissements.

C'est également une plateforme logistique extraordinaire. Et, puis, c'est un pays sympa. Donc, au total, ça fait beaucoup d'atouts. C'est pourquoi notre pays est devenu le plus attractif pour les investissements étrangers d'Europe depuis plusieurs années.

Internationalisation, innovation, stratégie RSE, gouvernance, management… Y a-t-il des stratégies particulières mises en place par les entreprises en la matière ?

Les entreprises françaises sont aujourd'hui plutôt bien positionnées par rapport à leurs concurrentes. Je ne dis pas qu'elles ont une avance extraordinaire, mais la prise de conscience des transformations nécessaires notamment sur les grandes verticales de la RSE est bel et bien enclenchée. Il y a aussi un certain nombre de lois qui ont accéléré l'adaptation de l'outil productif français. Et, aujourd'hui, toute la question est celle de la décarbonation.

La compétitivité viendra beaucoup de là. L'économie française s'est mise en mouvement sur tous ces sujets. Incontestablement. A Bpifrance, nous finançons ainsi massivement la transition, en étant à la fois producteur de nouvelles énergies et instrument de la transformation du comportement des PME, avec notamment 20.000 PME accompagnées physiquement et directement dans leur transition.

Avec également une prise en compte de plus en plus importante de la part des investisseurs, publics et privés, des enjeux de transformation, et de transition…

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Oui, tout à fait. C'est au moment de cet événement de vie, qui est de prendre un financement, que l'entreprise va être confrontée à la nécessité de changer. A Bpifrance, nous sommes vraiment des banquiers militants, des banquiers de la transformation. Et, nous ne sous-estimons pas d'ailleurs nos responsabilités. C'est pourquoi nous envoyons aussi des consultants sur le terrain, chez nos clients… En 2023, nous avons ainsi effectué 5.000 missions de conseil, et 7.000 missions sont déjà programmées en 2024. Au-delà de l'aspect financier, l'accompagnement des entrepreneurs, est aussi très important.

Vous avez aussi joué un rôle clé dans la création de communautés de destin entre les entreprises : French Tech, French Fab, French Care… Que change cette approche en écosystème ?

C'est toute la vertu du drapeau, le drapeau crée de la solidarité entre les membres d'une même tribu et crée un effet de puissance et de marque à l'extérieur du pays pour ceux qui nous regardent. C'est un moyen formidable de mobilisation, de motivation, et de fierté. Un moteur extraordinaire. Vous vous inscrivez dans un mouvement collectif de reconquête qui est celui de la French Fab pour l'industrie, ou de la French Tech à une époque où on disait que la France n'était pas une start-up nation. Nous avons réussi à montrer au monde entier que « si, nous sommes une start-up nation ! »

Le drapeau crée de la solidarité entre les membres d'une même tribu et crée un effet de puissance et de marque à l'extérieur du pays pour ceux qui nous regardent.

Sur la French Touch, celle des industries culturelles et créatives, c'est pareil, la bannière commune permet de révéler une fécondité incroyable. Bref, c'est un moyen de lutter contre l'individualisme français. Cela crée un effet multiplicateur de puissance et de désir. Vous vous donnez des conseils les uns les autres, vous regardez vos plans stratégiques et vous vous apercevez que vous n'êtes pas forcément le plus ambitieux, ça donne envie d'aller plus vite, d'aller plus loin.

Concrètement, comment aidez-vous les entrepreneurs à être compétitifs, ambitieux ?

Très souvent, nous sommes le premier barreau de l'échelle, celui qui permet aux entrepreneurs de monter. Mais, nous ne leur demandons pas de monter pour monter, et être stables. Nous leur donnons le désir de l'instabilité. C'est cela avoir de l'ambition. Une quantité d'entrepreneurs, nous disent : « Je vivais une vie paisible à 15 millions d'euros de chiffre d'affaires. Vous m'avez secoué. Je suis à 50 millions aujourd'hui. Je ne l'aurais jamais imaginé. Merci. »

Dans nos meetings, il nous arrive aussi, souvent, de demander de lever la main à ceux qui veulent « faire » une entreprise de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et puis nous relevons l'ambition : 200 millions, 300 millions, etc. Jusqu'à poser la question : « Qui a le courage de s'exprimer devant tout le monde, là maintenant, en disant : 'Je veux faire une entreprise de 1 milliard d'euros ?'» A Bpifrance, nous avons ainsi la religion de l'ambition.

Les entrepreneurs sont le maillon fondamental de l'histoire française des années qui viennent. C'est par eux que la France va se transformer, accoucher de sa nouvelle identité moderne. Ils sont « la » solution à quantité de choses. Y compris aux difficultés des quartiers.

Bpifrance célèbre cette année ses dix ans. Comment vous projetez-vous dans les prochaines années ?

Notre raison d'être demeurera inchangée, à savoir permettre aux entrepreneurs de s'agrandir. Avec pour valeurs : optimisme, volonté, proximité, simplicité. Telle est notre feuille de route. Avec comme plan stratégique : réindustrialisation, décarbonation, souveraineté. Fondamentalement, c'est ce triptyque qui continuera à guider notre action. Ensuite, nous savons très bien que les quatre ou cinq années qui viennent seront totalement imprédictibles… Mais Bpifrance est un outil d'une flexibilité totale pour encaisser les crises, apporter des réponses opérationnelles très vite et répondre aux besoins exprimés. Nous l'avons montré à de multiples reprises ces dernières années, notamment avec les PGE.

Etienne Thierry-Aymé

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