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Interview

Jacques Boyon : « Ce budget ne prend pas en compte les besoins de l'industrie de défense »

Le président (RPR) de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale exprime, à l'unisson de nombreux parlementaires tant de l'opposition que de la majorité, sa déception après la présentation du budget de la Défense par Charles Millon. Est notamment critiquée l'absence de lignes directrices dans les coupes budgétaires. En tout état de cause, c'est l'industrie d'armement qui subit de plein fouet les effets de l'étalement des programmes. Les propositions à venir du Comité stratégique pourraient cependant pousser le gouvernement à prendre des décisions plus tranchées.

Publié le 29 sept. 1995 à 01:01

Qu'avez­vous déclaré au ministre de la Défense quand il a présenté son budget devant les députés de votre commission ?

J'ai fait ressortir auprès du ministre que, au-delà des chiffres en francs courants qui, effectivement, font apparaître un maintien du budget de la Défense en 1996 par rapport au budget 1995 révisé, compte tenu de l'évolution du niveau des prix et de l'augmentation du taux de la TVA, la diminution du pouvoir d'achat des armées s'établissait à près de 3 %. La commission de la Défense se trouve pour le budget de 1996 à peu près dans la même situation qu'au moment du collectif de 1995, où un texte et des chiffres lui ont été soumis sans qu'elle sache ce qu'il y avait concrètement derrière.
Par rapport à la deuxième annuité de la programmation mort-née, cela se traduit par quel déficit ?

Si vous comptez en argent frais, dans les moyens de la loi de Finances initiale, il manque 18 milliards, mais, en termes de moyens disponibles, en ajoutant les fonds de concours et les reports, il manque 10 milliards. De toute manière, la référence à la loi de programmation n'a plus de sens; on navigue complètement à vue. L'écart s'est simplement creusé encore un peu plus en 1996.

Quelle en est la répercussion sur les programmes ?

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Les travaux du Comité stratégique sont loin d'être arrivés à leur terme. Un certain nombre de ses propositions, notamment celles relatives au nucléaire, devront faire l'objet d'un Conseil de défense. Le budget de 1996 est un budget d'attente, qui ne traduit pas encore de correction de parcours par rapport à l'évolution de ces dernières années. Donc il n'y a pas d'abandon de programme.
Mais les grands programmes sont souvent décalés ?

Oui, il y a de nouveau des étalements qui posent problème, mais plus à l'industrie qu'aux armées. Les crédits de fonctionnement, épargnés, concernent directement la vie des armées, tandis que les crédits d'équipement, amputés, font surtout du mal à l'industrie qui en supporte les contrecoups immédiats. Les armées ne verront arriver qu'avec un certain décalage les matériels dont elles ont besoin. Les programmes les plus touchés sont ceux qui coûtent le plus cher. Le Rafale est effectivement l'un de ceux qui, cette année comme les années précédentes, font les frais de l'étalement.
A force d'étirer, de décaler tous les programmes, l'industrie est dans une situation impossible. Sa survie, ses prix de revient, sa crédibilité sont compromis. C'est là le vrai problème du budget, et c'est pour cela que j'ai dit au président de la République que si on ne trouve pas, à côté du budget, des moyens de soutenir financièrement l'industrie, à terme c'est la survie de cette industrie qui est en cause.
Les récents échecs commerciaux du Tigre à l'exportation ne sont­ils pas l'occasion de revenir sur la décision d'industrialisation ?

Le report de l'industrialisation du Tigre est une mauvaise décision. Il faut que l'exportation prenne, d'une certaine façon, le relais du budget de la Défense pour soutenir la bonne marche des programmes. Les difficultés rencontrées à l'exportation _ notamment sur le Tigre _ devraient inciter le gouvernement à maintenir, voire à accélérer, l'industrialisation des programmes exportables. C'est un rêve de penser qu'on peut exporter du matériel qui n'est pas en service dans les armées. Si on prend du retard sur le Rafale, cela le met en mauvaise position à l'exportation. Ce budget ne prend pas en compte les besoins de l'industrie de défense. Je ne cesse de demander quelle est la stratégie de la France vis-à-vis de son industrie de défense.
Qu'est-ce que la France attend de ses industries de défense ?

Si on continue à raisonner en termes de programme, on n'abordera jamais ce sujet. On nous dit tout le temps que l'heure est venue de revoir en profondeur les programmes de nos armées, qu'il y a trop de programmes. C'est vrai. Mais quand on cherche à savoir quels sont les programmes auxquels on va renoncer, on utilise un argument qui finalement peut être utilisé successivement contre chacun d'entre eux. A partir du moment où un programme est très étalé dans le temps et où les commandes sont passées à l'unité, il est légitime de se demander s'il faut conserver une industrie aéronautique française qui livrerait par exemple quelques Rafale par an. Et aboutir à la conclusion que, pour répondre aux besoins des armées, il est plus intéressant d'acheter sur étagère à l'étranger, principalement aux Etats-Unis. On ne peut sortir de cette analyse que si on insère dans le budget ou à côté de ce budget une vision industrielle de la défense, et non pas de programmes.
Est-ce le rôle dévolu au Comité stratégique ?

Je pense que le Comité stratégique va faire des propositions fortes au gouvernement. Celui-ci suivra­t­il ou non ces propositions qui ne seront pas à l'eau de rose ? Je n'en sais rien. Elles inspireront surtout la prochaine loi de programmation qui sera déposée au printemps prochain. Mais des décisions touchant notamment au nucléaire interviendront avant la fin de l'année.
Quelle aide spécifique faudrait­il accorder à l'industrie de défense ?

Il faut des moyens un peu en marge du budget pour soutenir l'industrialisation, le développement et le lancement d'un certain nombre de programmes nouveaux, notamment ceux faits en coopération européenne et destinés à l'exportation. De quelle manière financer, par exemple, l'avion de transport militaire futur, de la même façon qu'un avion civil ? Il n'y a pas de raison intrinsèque qui justifie qu'un avion militaire soit financé de manière différente d'un avion de transport civil, notamment au moyen des avances remboursables. Mais cette procédure ne règle pas tous les problèmes, parce qu'elle n'est pas extrabudgétaire.
Comment remédier à la sous-capitalisation des sociétés ?

La recapitalisation des entreprises publiques qui vivent du secteur de la défense devient urgente, compte tenu de la compétition internationale. Il faut qu'une partie des recettes attendues de la privatisation serve à la recapitalisation des entreprises. Et imaginer un recours exceptionnel à l'emprunt.
La professionnalisation de l'armée a­t­elle avancé ?

Il y a une diminution du nombre des postes budgétaires d'appelés et une augmentation des effectifs, notamment d'encadrement et d'engagés volontaires, pour répondre surtout aux exigences des opérations extérieures. Ce budget va dans le sens de la professionnalisation, mais à pas de fourmi.

JEAN-PIERRE NEU

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