Après la tuerie dans l'Eure, la grande traque de «la Mouche»

Une traque hors norme a été déclenchée, depuis mardi en fin de matinée, pour retrouver les membres d'un commando de tueurs, manifestement bien renseigné, qui vient de faire chavirer la France dans une véritable tragédie. L'équipée sanglante porte la marque d'un grand banditisme que l'on croyait pourtant révolu depuis l'époque de la « guerre des fourgons », qui a connu son apogée dans les années 1980. D'une indicible sauvagerie, l'attaque a été exécutée avec sang-froid pour libérer un présumé trafiquant de drogue en cours de transfert entre le tribunal de Rouen et la prison d'Évreux, au moment même où les sénateurs dévoilaient un rapport accablant sur les ravages du narcotrafic dans le pays. Un bilan provisoire fait état de deux agents pénitentiaires tués à bout portant et de trois autres blessés par balle, dont l'un avait son pronostic vital engagé mardi soir. Les deux autres agents étaient hospitalisés en urgence relative.

Selon les premiers éléments de l'enquête, le drame s'est noué, sur l'autoroute 154, à hauteur du péage d'Incarville. Peu après 11 heures, le fourgon pénitentiaire qui transporte Mohamed Amra, voyou originaire de Rouen et surnommé « la Mouche » dans le « milieu », passe la barrière quand il se fait soudain percuter de face par une Peugeot 5008 volée de couleur sombre. La camionnette en charge est bloquée derrière. Vêtus de noir et le visage masqué, au moins quatre hommes sortent de la « voiture bélier », ainsi que d'un second véhicule qui « suivait » le fourgon, d'après le parquet de Paris. Armés de fusils de guerre, ils ouvrent le feu à plusieurs reprises en direction des surveillants. Certains ont pu riposter avec leur arme de poing, d'après la procureur de Paris, Laure Beccuau. Dans une vidéo spectaculaire, les gestes des sicaires semblent précis et méthodiques, les tirs appliqués. À travers un épais nuage de poudre, Amra est extrait du fourgon. Le raid, foudroyant, n'a guère duré plus de trois minutes.

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Un profil venimeux

Le convoi pénitentiaire pris pour cible n'avait pas d'escorte de la police ou de la gendarmerie. Ce dispositif, qui n'a rien de systématique, ne serait déployé qu'à la demande de l'administration pénitentiaire. Ce qui n'a manifestement pas été le cas lors de l'extraction judiciaire de Mohamed Amra, puisque ce dernier n'était pas un détenu particulièrement signalé (DPS) en dépit de son profil venimeux. Âgé de 30 ans depuis mars dernier, ce trafiquant de drogue est déjà connu de la justice, avec 13 condamnations. Selon une source policière, il est également dans le viseur de l'Office antistupéfiants (Ofast), dans le cadre d'un supposé réseau international entre les Antilles et Marseille. Il a été mis en examen le 17 juin 2022 par la juridiction interrégionale spécialisée pour meurtre en bande organisée, enlèvement et séquestration d'otage. Une victime avait été découverte calcinée en mode «barbecue», dans une voiture dans les environs d'Aubagne (Bouches-du-Rhône), avec une balle dans la tête.

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En janvier 2022, Mohamed Amra aurait aussi été inquiété pour une tentative de meurtre, commise l'année précédente, à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). La procureur précise enfin qu'Amra a été condamné vendredi dernier pour un vol avec effraction. Et dimanche, il avait tenté de scier les barreaux de sa cellule, à Évreux. C'est dans le cadre de ce dernier dossier que « la Mouche » était convoquée par un juge d'instruction de Rouen, ce mardi matin, avant que ses comparses le libèrent sur le chemin du retour, en semant la mort. Ce tueur en puissance est désormais parti en cavale avec ses complices à bord d'une BMW série 5 et d'une Audi A5 blanche, retrouvée carbonisée à une trentaine de kilomètres. Un second véhicule a été retrouvé brûlé, toujours dans l'Eure.

«Ennemis publics numéro 1 »

Saisis du dossier, les magistrats de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) se sont rendus sur les lieux de la fusillade. L'enquête, ouverte pour « meurtre et tentative de meurtre » ainsi qu'« évasion en bande organisée », a été confiée à l'Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO) et la police judiciaire de Rouen. Selon nos informations, la fine fleur de la police est sur les dents : outre la brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF), la BRI - antigang - nationale ainsi que les brigades de répression du banditisme de Rennes et de Nantes ont été mises en alerte. Sans attendre, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a déclenché le plan Épervier, qui a été automatiquement levé en soirée. Des centaines de gendarmes restent mobilisés, avec des motards, dans l'Eure mais aussi en Seine-Maritime, dans le Calvados, le Val-d'Oise ou encore les Yvelines. Un hélicoptère et une équipe du GIGN complètent la traque de l'évadé et de ses complices.

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En attendant l'issue de cette chasse à l'homme, l'administration pénitentiaire est en deuil. Les fonctionnaires du pôle de rattachement des extractions judiciaires (Prej) de Caen (Calvados) tués dans la fusillade étaient mariés et pères de famille. Le premier avait deux enfants qui devaient fêter leurs 21 ans dans deux jours tandis que le second laisse une femme enceinte de cinq mois. Évoquant un « crime ignoble », le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a affirmé que c'était la première fois depuis 1992 qu'un agent de la pénitentiaire était tué dans l'exercice de ses fonctions. Le garde des Sceaux s'est ensuite rendu à la rencontre des collègues des victimes pour les assurer de son soutien. Et de la farouche détermination de l'État à capturer « la Mouche » et ses complices, désormais considérés comme « ennemis publics numéro 1 ».