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Décryptage

Comment produire des vélos en France et être compétitif face à l'Asie ?

Le vélo coche toutes les cases du durable, de la prévention santé, de la mobilité décarbonée… L'engouement pour la petite reine suscite de nombreuses vocations d'entrepreneurs. Mais produire un vélo en France, c'est presque aussi dur que grimper le Tourmalet.

Plus de 850.000 vélos ont été produits en France en 2022 dont ceux de la marque Caminade à Ille-sur-Têt dans les Pyrénées-Orientales.
Plus de 850.000 vélos ont été produits en France en 2022 dont ceux de la marque Caminade à Ille-sur-Têt dans les Pyrénées-Orientales. (DR)
Publié le 9 févr. 2024 à 06:03

En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des mollets. Le marché du vélo se porte bien et les concepteurs de petite reine sont de plus en plus nombreux. Certes, les ventes de vélos classiques ont légèrement baissé, notamment du fait du développement de vélo de seconde main, et à un transfert vers le vélo électrique. Mais, selon l'étude 2022 d'Union Sport & Cycle, on enregistre encore une croissance de 7 % des ventes de vélos neufs en France.

Les trajets à vélo ont augmenté de 13 % en 2022, notamment en raison de l'essor du vélo pour aller travailler, le fameux vélotaf, et de l'utilisation croissante de vélos électriques. Le marché global du cycle a continué de croître en France avec un chiffre d'affaires cumulé de 3,6 milliards d'euros, soit une augmentation de 5,2 % par rapport à l'année précédente.

Pour faire face à cet engouement, la production française de vélos est en hausse, avec 854.417 cycles produits en France en 2022, dont 52 % de vélos à assistance électrique. Cependant, derrière ces vélos estampillés « France » se cache une réalité complexe, où provenance des pièces et assemblage sont mêlés au détriment d'une information claire des consommateurs.

L'innovation au coeur des transmissions

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Le renouveau du cycle est, lui, bien réel grâce à l'arrivée sur le vélodrome de dizaines de fabricants français. Mais sous-industrialisée pendant des dizaines d'années, la filière peine à fournir réellement de quoi fabriquer dans l'Hexagone.

Jean-Marie Le Corre, Léonard Dabin et Johan Daniel, créateurs d'Unicy, ont décidé de s'attaquer à cette pénurie d'approvisionnement. « Johan a travaillé dans une boutique de vélo et quand les clients venaient pour une réparation, les délais pour se fournir en pièces détachées étaient souvent de plusieurs mois, explique Jean-Marie Le Corre. Il a remonté la supply chain et s'est rendu compte que 95 % des transmissions de vélos venaient d'Asie. Et sans ces équipements, impossible de répondre à la demande croissante… D'autant que de plus en plus de fabricants français et européens sont demandeurs de pièces détachées produites en France afin de mieux maîtriser la chaîne d'assemblage. »

Ingénieurs de formation, notamment dans le secteur automobile, Léonard et Jean-Marie travaillent durant plus de deux ans pour mettre au point un système novateur, et aujourd'hui breveté, de transmission : « Il s'agit d'une nouvelle technologie d'engrenage, par cardan, conçue en 3D. Nous travaillons avec des industriels autour de Nantes pour la fabrication et nous assemblons en interne. »

La production industrielle devrait démarrer fin 2024 (Unicy est en phase de recherche d'industriels français) pour une commercialisation en 2025. Leurs clients ? « Nous sommes régulièrement contactés par des fabricants et des assembleurs de vélo français et européens. La tension sur la chaîne d'approvisionnement a fait couler des PME et nous leur proposons donc une alternative locale ! »

L'artisanat s'appuie sur l'industrie automobile et aéronautique

Une des pistes pour faire décoller la filière vélo se trouve peut-être dans l'aéronautique , dans l'automobile et plus globalement dans des partenariats avec des industriels classiques. C'est une des pistes explorée par un fou de vélo dans le village de l'Ile-sur-Têt (Pyrénées-Orientales), Brice Epailly, 51 ans, avec son entreprise Caminade, un des pionniers du vélo fabriqué en France.

Issu de l'industrie automobile et pratiquant de VTT, il allie à la fois expérience industrielle et passion du cycle, lui permettant de conjuguer innovation et savoir-faire artisanal. Son créneau ? Le cadre. « Quand j'ai voulu, il y a 11 ans, faire fabriquer en France mon vélo en acier, je me suis rendu compte qu'il n'y avait plus personne pour le faire. Tout venait d'Asie ! On a du tout réapprendre. »

De l'acier, il passe au titane, pour produire des cadres sur-mesure et haut de gamme… mais qui restent au même prix que des vélos de même gamme produits au Bangladesh. « Nous avons innové, par exemple en proposant des cadres collés avec une colle issue de l'aéronautique, une alternative aux cadres soudés, gourmands en temps, en main-d'oeuvre et donc chers. Il y a deux ans, nous avons lancé un nouveau procédé de fabrication de cadre injecté, une technologie utilisée dans l'industrie automobile. »

Ce cadre de vélo, vendu à la société Ultima, première entreprise labellisée Origine France, est désormais fabriqué à Lyon. Caminade vient de son côté d'obtenir ce label il y a six mois, avec 90 % de ses pièces venant de France. Depuis un an, Caminade travaille d'arrache-pied sur le réemploi de matières premières : « En 2027, dans le cadre de la loi Agec, 14 % de réemploi sera imposé pour les vélos, rappelle Brice Epailly. Notre objectif est de créer une filière d'industrialisation de la récupération de pièces de vieux vélos, pour fabriquer des vélos-cargos, sans fondre ni broyer la matière première, ce qui est énergivore. »

L'entreprise de 6 salariés, réalisant 700.000 euros de chiffre d'affaires, travaille également sur l'élaboration d'un tricycle de livraison « du dernier kilomètre ». Pour financer ses multiples réalisations, Caminade a pu compter sur des aides régionales ou européennes, et surtout sur un investisseur privé pour son projet développé avec Ultima.

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La jungle du made in France

Si la vogue du vélo français, porté par de jeunes entrepreneurs, semble bien là, force est de constater qu'il n'est pas facile de savoir ce que recouvrent précisément les mentions made in France, fabriqué en France, label origine France garantie. En fonction de ces indications, les critères sont différents, mais globalement, « une partie significative du prix de revient unitaire doit être acquise en France, [le vélo] doit tirer une part significative de sa valeur d'une ou plusieurs étapes de fabrication localisées en France, avoir subi sa dernière transformation substantielle en France », précise le site de la douane .

Cependant, sur le vélo, le nombre de pièces entrant en jeu est si important qu'il n'est pas facile de s'y retrouver, entre cadre, garde-boue, transmission, pneu, etc. « Même acheter un vélo Origine France n'est pas une garantie suffisante, estime Thibaud Fougereuse, créateur de Pybex, un tout jeune fabricant de vélo installé dans le Gers. Car si 90 % de sa valeur doit être issue de France, en y intègrant la R&D, l'assemblage… Cela ne garantit pas que 90 % des pièces viennent de France ! » Lui, il relève le défi tout seul, dans son atelier.

Lancé en 2023, ce fabricant de cadre de 23 ans souhaite proposer des vélos différents : « J'assemble moi-même les tubes en acier et je personnalise ensuite en fonction de la demande du client, en travaillant au maximum avec des fournisseurs français ou européens, pour les roues, les suspensions. » Un défi pour trouver ces fournisseurs et surtout peser sur les prix à une si petite échelle. « Même l'argument made in France, auquel je croyais beaucoup, est compliqué à tenir face aux clients qui ne s'y retrouvent plus, perdus dans la jungle des drapeaux tricolores chez les revendeurs ! », confie-t-il.

« Pendant longtemps, le « made in France » cachait des assembleurs de vélos, voire des déballeurs de cartons, déplore de son côté Brice Epailly (Caminade). Depuis quelques années, notamment avec le soutien d'industriels, ça bouge. Il faut de nouveaux arrivants pour disrupter le secteur et aboutir à une filière du vélo vraiment fabriquée en France. » Un enjeu de taille dans un contexte particulier : après la crise du Covid et l'essor de la pratique du vélo en ville, de nombreux fournisseurs ont surstocké les vélos. Le marché peine aujourd'hui à écouler ces stocks et seuls survivront ceux qui apportent une réelle valeur ajoutée, de l'innovation et du local.

Un plan vélo pour soutenir la filière

C'est dans ce cadre qu'a été annoncé, en 2023, le plan vélo 2023-2027. Deux milliards d'euros d'investissements ont été promis, en partie pour développer une filière économique du vélo. Le gouvernement souhaite l'assemblage d'1,4 million de vélos en France d'ici à 2027 et de 2 millions d'ici à 2030.

Déjà, la filière s'organise, avec par exemple trois clusters (Vélo Vallée cluster Occitanie, CARA en région Auvergne-Rhône-Alpes et CYGO dans le Grand Ouest), rassemblant les acteurs et industriels du secteur, et des associations.

Thibaud Fougereuse (Pybex) mise justement sur ces regroupements pour tirer son épingle du jeu : « Nous sommes une trentaine regroupée au sein de l'association Les Artisans du cycle. Outre la visibilité, cela nous permet d'entrer en relation avec des fabricants de pièces détachées et de nous allier afin de réaliser des commandes groupées. Mais ce qui pourrait vraiment changer la donne, c'est que l'aide d'Etat soit fléchée vers des vélos réellement fabriqués en France, un peu comme pour les voitures électriques. » Un réel plus pour faire émerger une filière hexagonale structurée et pourvoyeuse d'emplois.

Valérie Talmon

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