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Pedro Sánchez l'outsider revanchard

Les caciques du PSOE l'ont laissé prendre en 2014 la tête d'un parti en lambeaux, persuadés qu'il n'assurerait qu'un court intérim. Mais Pedro Sánchez, par son opposition farouche au conservateur Rajoy, s'est attiré la ferveur de la base. Qui lui a permis un come-back époustouflant mais encore précaire cette année.

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Par Cécile Thibaud

Publié le 30 nov. 2018 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Combien de temps va-t-il tenir? La question revient jour après jour à la une des journaux espagnols, alors que le vote du budget 2019 n'est toujours acquis. Avec seulement 84 députés sur un total de 350 au Parlement, gouverner l'Espagne relève du miracle - ou de l'acrobatie. Mais il en faudrait plus pour décourager Pedro Sánchez. À 46 ans, le chef du gouvernement, arrivé au pouvoir grâce à une motion de censure surprise concoctée en une semaine, paraît blindé. Maintes fois donné pour mort, chaque fois ressuscité, il croit en sa bonne étoile et affirme son intention de mener la législature jusqu'à son terme, en 2020. Après tout, son voisin portugais n'était-il lui aussi donné pour mort à peine nommé?

«Votes en faveur 180, votes contre 169, abstention 1. La motion de censure est approuvée.» Le 1er juin dernier, les Cortes viennent de déloger le conservateur Mariano Rajoy de la Moncloa et portent au pouvoir Pedro Sánchez Pérez-Castejón. Le socialiste se lève et distribue accolades et embrassades, le geste retenu, dans son rôle de chef de l'exécutif, déjà. Dans les rangs de son parti, le PSOE, on oscille entre euphorie et abasourdissement. Jamais on n'avait vu une motion de censure aboutir. Et jamais non plus on n'avait vu un tel retour en piste: il y a moins d'un an que Pedro Sánchez a réussi à prendre les rênes du parti malgré l'opposition féroce de la vieille garde. Les vétérans socialistes ne croient pas en lui. Ils pensent qu'il passera à l'histoire comme Pedro le bref, fleur d'un été. Il n'a fait qu'exploiter l'élan d'indignation né de la condamnation pour corruption du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy. Son idée de s'appuyer sur Podemos, sur les nationalistes de droite et de gauche, et surtout de faire appel aux indépendantistes catalans, fait grincer des dents. Le «montage Frankenstein» n'est pas viable.

Mais l'ingénu Pedro Sánchez s'est révélé à l'usage un marin habile, capable de tirer des bords. «S'il n'a pas lu «Le Prince», de Machiavel, quelqu'un l'a fait autour de lui. Il a compris que la politique est l'art de s'adapter aux circonstances, glisse le politologue Pablo Simón, professeur à l'université Carlos III de Madrid. Il n'est pas du tout exclu qu'il essaie de construire sa prochaine majorité en se tournant vers les centristes de Ciudadanos.» En attendant, l'oeil rivé sur les sondages, Pedro Sánchez préfère écouter les conseils de son spin doctor attitré, le consultant Iván Redondo, plutôt que ceux du conseil fédéral de son propre parti qui, il y a deux ans à peine, l'avait désavoué. Le PSOE, qui avait obtenu 22,66% des voix en 2016, est aujourd'hui crédité de 25% à 30%. «Il vise le moment le plus favorable pour convoquer de nouvelles élections. En attendant, il est dans une grande stratégie d'autopromotion, décrypte Pablo Simón. Il multiplie les initiatives pour donner un échantillon de ce qu'il pourrait faire s'il avait une majorité plus confortable et se positionne comme le chef de la vraie gauche qui peut changer la vie des gens.»

Une victoire au culot

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Depuis son arrivée, il a non seulement promis de sortir enfin Franco de son mausolée, mais aussi ouvert un dialogue avec les indépendantistes en Catalogne, annoncé une hausse de 22% du salaire minimum, une meilleure progressivité de l'impôt, un relèvement des retraites, des plans de lutte contre la précarité, des moyens pour appuyer la recherche et faire revenir les jeunes chassés par la crise. «Parce que la discipline budgétaire n'empêche pas de réduire les inégalités et de construire une croissance inclusive», selon les mots de la ministre de l'Économie, Nadia Calviño.

Son ascension a réellement commencé en 2014, quand il annonce par surprise sa candidature au poste de secrétaire général du PSOE. Pedro qui? Personne ne connaît, alors, ce simple député, absent des organes de direction. Pas grave, il en fait un argument de campagne: «Je suis un militant de base, je viens pour changer ce parti de bas en haut.» Depuis des mois, il a discrètement préparé le terrain en parcourant l'Espagne à bord de sa Peugeot 407, pour aller à la rencontre des militants, de section en section. Il débarque toujours avec son sourire ravageur et sait utiliser son physique avantageux pour se présenter - les journalistes parlementaires l'ont surnommé «Pedro el guapo», le beau Pedro, et lui ont décerné le prix «député révélation» en 2010. Né à Madrid en 1972, professeur d'économie de formation, père de deux filles, il est le fils d'un militant socialiste, fondateur de la section des Jeunesses socialistes de Tetuán, le quartier où il a grandi. Il est aussi grand amateur de basket (il mesure 1,90 m) et il a de l'ambition à revendre. Ce court CV et cet enthousiasme tombent à pic pour des militants socialistes alors en pleine dépression après la lourde défaite de 2011, atteints par la douloureuse potion d'austérité de Mariano Rajoy. Au sein de l'appareil, le culot de Pedro Sánchez amuse la présidente de la région d'Andalousie, Susana Díaz, qui attend un moment plus favorable pour prendre la tête du parti et faire valoir ses prérogatives de chef de file du dernier grand fief socialiste. En attendant, elle décide d'appuyer cet inconnu qui, a ses yeux, assurera avantageusement un intérim utile pour neutraliser des rivaux plus dangereux.

Pedro Sánchez rafle ainsi la mise aux primaires du PSOE, en juin 2014. Il jubile. Il avait pourtant été à deux doigts d'abandonner la politique, lassé de trépigner sur les arrières bancs du parti. À peine arrivé à son nouveau poste, il prépare la bataille pour les élections législatives de 2015. «La situation est compliquée, il lui faut redéfinir l'espace politique d'un parti démobilisé, accusé d'avoir ouvert les vannes de la politique d'austérité à la fin de l'époque Zapatero, et dont les électeurs se sont tournés vers d'autres formations en pleine expansion, avec Podemos sur sa gauche et Ciudadanos au centre», souligne José Pablo Ferrándiz, de l'institut de sondage Metroscopia. En décembre 2015, le verdict des urnes est calamiteux. Le PP arrive en tête (avec 28,7% des suffrages), mais sans majorité. Le parti socialiste plonge à 22%, talonné par Podemos à 20,66%. Jamais le PSOE n'avait obtenu un si mauvais score et plusieurs membres de l'état-major sortent leurs couteaux pour demander des comptes à Pedro Sánchez. Son ex-alliée, l'Andalouse Susana Diaz, a pris ses distances et se prépare à monter à l'assaut du parti.

Mais contre toute attente, il riposte. Qui a dit qu'il avait perdu? Il a fait les comptes, et il peut gouverner s'il arrive à convaincre Podemos et Ciudadanos de le soutenir! Un aller-retour rapide à Lisbonne pendant les vacances de Noël lui permet de s'inspirer de la méthode d'António Costa, qui vient de former un gouvernement minoritaire. À son retour, il se jette dans la bataille des négociations. Si Ciudadanos accepte de jouer le jeu, le projet est reçu avec ironie par le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, qui préfère miser sur de nouvelles élections. Alors que Pedro Sánchez regarde vers le Portugal, lui se tourne vers la Grèce et rêve de torpiller le PSOE pour prendre la tête de la gauche, comme Syriza a coulé le Pasok... Les discussions tombent dans une impasse et le pays vote à nouveau en juin 2016. Le PP de Mariano Rajoy sort renforcé des urnes et creuse l'écart, mais l'important pour Pedro Sánchez est que le PSOE a réussi à rester le premier parti de gauche. Il fait et refait ses calculs tout l'été. Et s'il arrivait à monter une grande alliance avec tous les petits partis de gauche? Cette fois, son arithmétique hasardeuse alarme la vieille garde socialiste, et l'ancien président Felipe González tape du poing sur la table: fini de tergiverser, il est temps d'admettre la défaite et de s'incliner devant Mariano Rajoy, exige-t-il. Il faut assurer la stabilité du pays qui commence tout juste à remonter la pente après des années de récession.

L'étendard de la révolte

«No es no», «non c'est non», s'oppose Pedro Sánchez. «Pas question d'absoudre le président de la corruption», répète-t-il. Cette résistance prend de court son propre parti. On le croyait docile et voilà qu'il lève l'étendard de la révolte. On le croyait à peu près sans idéologie et voilà qu'il revendique d'incarner la vraie gauche. Plus il est fustigé par la frange «réaliste» de l'appareil du PSOE qui veut un accord avec le PP, plus sa cote monte chez les militants de base. Il était arrivé Tony Blair, le voilà devenu Jeremy Corbyn. Il est finalement éjecté de la direction du parti le 1er octobre 2016, au terme d'un comité fédéral de plus de dix heures qui vire presque au pugilat, entre les insultes et les larmes. Les militants viennent manifester devant le siège du parti contre ce putsch. Quelques semaines plus tard, l'abstention des socialistes permet l'investiture de Rajoy pour un second mandat. Pedro Sánchez n'est pas dans l'hémicycle: il a préféré renoncer à son mandat de député. Mais il n'a pas dit son dernier mot. Il annonce sur-le-champ qu'il sera candidat aux prochaines primaires socialistes. La Peugeot 407 repart en tournée à travers l'Espagne. Les moyens sont modestes: il loge chez l'habitant. Mais sur son passage, de ville en ville, les convaincus viennent applaudir le leader déchu. En fin de meeting, on se met debout et on entonne L'Internationale, à l'ancienne, poing levé.

En mai 2017, contre tous les pronostics, il gagne les primaires et reprend le poste de secrétaire général du PSOE, balayant au passage son ex-alliée devenue sa grande rivale, Susana Díaz. Il reprend le contrôle du parti, entouré d'un petit cercle de fidèles qui travaille dans l'ombre. Il n'a pas renoncé à construire une majorité alternative pour renverser Mariano Rajoy, persuadé qu'il lui suffisait simplement d'attendre son heure. Elle est enfin arrivée, le 1er juin dernier.

Une carrièrequi a soudain décollé

1972 Naissance de Pedro Sánchez à Madrid.1993 Adhère au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).1998 Assistant parlementaire au Parlement européen.1999 Chef de cabinet du haut-représentant des Nations unies en Bosnie.2004-2009 Conseiller municipal à Madrid.2009-2011 Député socialiste de Madrid. Il le sera à nouveau de janvier 2013 à octobre 2016.2014 Premier secrétaire général du PSOE a être élu par les militants. Contraint à la démission en 2016 par l'appareil, il est réélu par la base en 2017.1er juin 2018 Accède à la tête du gouvernement espagnol.

La princesse Leonor célèbre la Constitution

À l'occasion du 40e anniversaire de la Constitution espagnole, la fille du roi Felipe VI et de la reine Letizia en a lu le premier article lors de son premier discours public, le 31 octobre à Madrid (photo). C'était accessoirement, aussi, le 13e anniversaire de la princesse héritière, qui quand elle succédera à son père sera la première femme à régner depuis Isabelle II (1833-1868). Les Espagnols sont très attachés à leur loi fondamentale, qui a failli disparaître trois ans après son entrée en vigueur, à la suite du coup d'État stoppé par le roi Juan Carlos, grand-père de Leonor, princesse des Asturies.

Par Cécile Thibaud

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