[go: up one dir, main page]

Publicité

Loi Toubon: le décret du 3 mars 1995

La loi Toubon (1) est entrée en vigueur le 4 août 1994... ou presque car la mise en oeuvre de ses dispositions essentielles était différée dans l'attente du décret d'application. En fait, on attendait de connaître le régime annoncé des sanctions applicables pour mieux en mesurer les enjeux. C'est chose faite. Aussi est-ce l'occasion de réexaminer les obligations s'imposant aux entreprises en matière d'emploi de la langue française et de cerner la portée des précisions apportées par le décret au titre des sanctions applicables, des prélèvements opérés par les agents de contrôle et de l'agrément des associations autorisées à se porter partie civile.

Publié le 31 mars 1995 à 01:01

La violation des dispositions de la loi Toubon expose la personne physique qui en est responsable à la peine d'amende prévue pour « les contraventions de la 4e classe », c'est-à-dire à une amende de 3.000 à 5.000 francs au plus. A bien y regarder, si le taux de l'amende a été relevé, la sanction est de même nature que celle à laquelle les tribunaux avaient déjà recours sous le régime antérieur de la loi de 1975. Les infractions constituaient alors des contraventions de simple police de la 2e classe (de 1.000 à 3.000 francs pour des faits commis postérieurement au 1er mars 1994 et de 600 à 1.300 francs pour des faits commis antérieurement à cette date).

Le montant de l'amende peut à première vue paraître peu dissuasif. Il n'en est rien car pour les personnes morales, le taux peut être quintuplé et donc porté à 25.000 francs. Par ailleurs, dans le régime antérieur, il était admis que le juge pouvait prononcer autant d'amendes qu'il y avait d'exemplaires du bien ou du produit en infraction. Le montant total de l'amende pourrait donc être très important. Le décret n'apportant pas de réponse sur ce point, il y a certainement matière à interprétation. En revanche, il prévoit expressément que le tribunal peut enjoindre à la personne physique ou à la personne morale déclarée coupable de se conformer aux prescriptions de la loi. Cette injonction peut être assortie d'une astreinte qui, en fonction du taux et de la durée qui seront fixés, peut constituer une sérieuse incitation au respect des prescriptions de la loi.
Encore faut­il que l'infraction soit expressément visée. En effet, s'agissant de sanctions de nature pénale, le texte est nécessairement d'application restrictive. Or, à la lecture du décret, on peut constater que la sanction ne s'appliquerait qu'à l'entreprise qui n'aurait pas :

_ employé la langue française dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi, la garantie d'un bien, produit ou services, ou encore dans les factures et quittances... et dans toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle ;

_ employé la langue française pour toute inscription ou annonce destinée à l'information du public apposée ou faite sur la voie publique dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun (2) ;

Publicité

_ présenté la version française d'un texte ou d'une annonce accompagné d'une ou plusieurs traductions étrangères, de manière « aussi lisible, audible ou intelligible » que la version en langue étrangère (2) ;

_ respecté les dispositions relatives aux manifestations, colloques ou congrès organisés en France (3) ;

_ mis à la disposition d'un salarié une version en langue française d'un document comportant « des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail » (4).

Certes, ces infractions couvrent l'obligation générale d'emploi de la langue française élargie depuis la loi Toubon aux domaines du droit du travail, des colloques et séminaires et de l'enseignement. Cependant, le décret ne permet pas de cerner les contours de cette obligation. Qu'advient­il, par exemple, de l'obligation de décrire dans une offre d'emploi, la nature de l'emploi lorsque celui-ci ne peut être désigné que par un terme étranger sans correspondant en français ? Ou encore de l'obligation de fournir au salarié étranger qui en fait la demande une traduction du contrat dans sa langue nationale ? Quelles sont les sanctions ? Sans doute peut­on suggérer que, s'agissant d'une loi se déclarant « d'ordre public » (article 20), toute convention conclue en violation de ses dispositions sera réputée nulle ou inopposable.
Exemplaire représentatif
On rappellera que cette solution n'a pas été précédemment admise par la Cour de cassation qui a considéré, s'agissant d'un contrat de travail qui avait enfreint la langue française, que celui-ci ne pouvait pas être annulé. Il s'agissait certes d'une jurisprudence isolée et visant le contrat de travail mais qui pourrait, avec la loi Toubon, être remise en question pour les contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur.
La loi Toubon a renforcé les pouvoirs des agents chargés de rechercher et de constater les infractions. Ceux-ci peuvent en effet procéder à des perquisitions dans les locaux des entreprises et y « consulter tous les documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission, en prendre copie et recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justificatifs propres à l'accomplissement de leur mission ». Ils peuvent également prélever des exemplaires des biens ou produits mis en cause.
Le décret s'emploie donc à circonscrire l'opération de prélèvement, l'exemplaire « prélevé » devant être « représentatif » et « mis sous scellés ». Il doit être identifié par une étiquette précisant notamment sa nature, la date, l'heure et le lieu du prélèvement, le nom, la raison sociale, l'adresse de la personne chez laquelle a été opéré le prélèvement... Par ailleurs, le propriétaire ou détenteur du bien ou produit mis en cause doit être mis en demeure de déclarer la valeur de l'exemplaire prélevé, à charge pour l'agent d'apprécier les éléments justificatifs produits. Enfin, l'agent doit rédiger et signer séance tenante un procès-verbal qui fera « foi jusqu'à preuve du contraire ». Ces éléments seront transmis au procureur de la République et à l'intéressé dans un délai de cinq jours. Ce délai strict a vocation à accélérer la procédure, le procureur restant bien sûr seul juge de l'opportunité des poursuites.
L'agrément
des associations
Le titre III du décret complète quant à lui les dispositions de la loi Toubon concernant les associations ayant pour objet statutaire la défense de la langue française. Celles-ci auront la possibilité de se constituer partie civile devant les juridictions répressives à la condition, d'une part, d'être régulièrement déclarées, d'autre part, d'être agréées. Selon le décret, pour prétendre à l'agrément, les associations concernées devront justifier notamment de deux années d'existence à compter de leur déclaration, d'un nombre suffisant de membres cotisants et bien sûr d'une activité effective en vue de la défense de la langue française mais « dans le respect des autres langues et cultures ». Cette activité serait attestée notamment par la nature et l'importance des manifestations ou des publications.
La délégation générale à la langue française centralise les demandes et délivre les récepissés à reception des dossiers. La décision d'agrément ou de refus est notifiée dans un délai de quatre mois à compter de la date de délivrance du récepissé. L'agrément accordé est valable pour une durée de trois années et peut être renouvelé.
On attendait du décret bien plus de précisions, tout particulièrement qu'il lève certaines incertitudes. A titre d'exemple, les contrats, factures et autres documents émis à partir de l'étranger ou transmis par un intermédiaire étranger sont­ils concernés par la loi Toubon ? Beaucoup de questions trouveront sans doute leur réponse dans les solutions appliquées sous le régime de la loi de 1975. Il reste à savoir si le renforcement de l'obligation d'utiliser la langue française permettra en l'état de la loi Toubon et de son décret, une application plus efficace que sous le régime de 1975. Les entreprises sont- elles prêtes à changer leurs habitudes ?

Christiane Féral-Schuhl (*)

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres
Publicité