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Messagerie express: la riposte s'organise face aux « integrators »

L'acquisition, cet été, des Transports Prost par l'américain UPS a renforcé l'impression que rien ne peut résister à l'avancée des rouleaux compresseurs américains. En réalité les grands groupes intégrés de messagerie express ont le plus grand mal à maîtriser leur développement international, en particulier en Europe où la riposte s'organise doucement.

Publié le 31 oct. 1991 à 01:01

La situation semble limpide. D'un côté, des entreprises nationales éparpillées en Europe, bloquées, le plus souvent par manque de fonds propres, dans leur ambition de développement. De l'autre, des entités faisant figure de géants auxquels rien n'est sensé devoir résister, étant donné leur taille et leurs capacités financières. Sont rangés dans cette dernière catégorie, outre UPS, des groupes tels que Federal Express, DHL, TNT ou CF-Emery. Mais ces « integrators » (appelés ainsi parce qu'ils ont constitué des réseaux intégrés de transport capables de réaliser des livraisons porte-à-porte dans un délai garanti), s'ils ont bien des points en commun, constituent, en fait, un ensemble hétérogène dont les différences ont longtemps été masquées par la crainte que leur puissance financière inspirait aux entreprises en Europe.
Cette force de frappe financière constitue, en effet, comme le fait remarquer l'Observatoire économique et statistique des transports dans une des rares études consacrées à ce sujet, leur premier point commun. Tous les integrators -d'origine étrangère et presque tous américains à part l'australien TNT- réalisent un chiffre d'affaires atteignant ou dépassant 10 milliards de francs. Soit environ dix fois plus que la plus grosse affaire réalisée dans ce secteur en France. Chacun des « integrators » emploie, au minimum, 20.000 salariés. Ils s'appuient sur un même mode d'exploitation, un réseau de transport utilisant force camions de distribution et avions. D'où la taille impressionnante de leurs flottes: par exemple, 31.000 véhicules et 430 avions pour Federal Express. Leurs réseaux obéissent tous à la logique du « hub and spokes », largement copiée à travers le monde par d'autres entreprises: un point de tri central « hub » vers lequel convergent les réseaux de collecte et de livraison dénommés « spokes ».
Mais derrière l'apparente uniformité de ces colosses, se cachent des différences parfois importantes qui expliquent en partie certaines de leurs récentes déconvenues dans leur développement international, voire révèlent leur faiblesse. Premier point: la messagerie express occupe une place très variable dans leur activité. Entre Federal Express dont l'express constitue 90% du chiffre d'affaires et TNT qui, avec 25% de CA dans l'express (concentré sur l'Europe) est un groupe hétéroclite où se côtoient les activités de transport routier, de groupage maritime et aérien, l'écart est énorme. Et même gigantesque, si l'on songe que Consolidated Freightways, le plus gros opérateur routier des Etats-Unis, ne réalise que 12% de son chiffre d'affaires dans l'express.
Des capacités
financières
diverses
L'implantation internationale de ces groupes aussi est disparate, même si tous se targuent volontiers d'une couverture mondiale: Fedex réalise les deux-tiers de son chiffre d'affaires aux Etats-Unis, UPS plus des trois-quarts, mais TNT à peine le tiers et DHL 10% seulement. A eux deux, Federal Express et UPS monopolisent les trois-quarts du marché nord-américain. C'est dire la formidable assise sur laquelle ces deux géants peuvent fonder leur expansion internationale.
Enfin, les performances financières des « integrators » sont d'un niveau très différent. Quand UPS réalise un ratio bénéfices nets sur chiffre d'affaires de près de 6%, TNT atteint à peine le taux de 3%, Fedex 1,5%, tandis que CF-Emery est négatif, précisément en raison des contre-performances de son activité messagerie express réalisée par Emery-Purolator. Les capacités d'autofinancement des uns et des autres, telles qu'elles peuvent ressortir à travers leur MBA, sont sans commune mesure: pour UPS deux fois plus importantes que pour Fedex et dix fois plus lourdes que celles de CF.
L'effritement de la rentabilité des opérateurs, très sensible au milieu des années 80 à la suite d'une concurrence sauvage sur les prix, a réduit d'autant la marge de manoeuvre des plus faibles. Certains y ont perdu leur indépendance: Emery a été racheté en 1989 par Consolidated Freightways, qui depuis lors ne s'en porte pas pour autant mieux, et un an plus tard DHL tombait entre les mains de Lufthansa et de Japan Air Lines. Plus récemment, TNT, en difficulté depuis deux ans, trouvait une surprenante porte de sortie en s'alliant avec l'ennemi d'hier, la Poste, en l'occurence les réseaux postaux d'Allemagne, de France, des Pays-Bas, de Suède et du Canada. Même Federal Express (lire ci-dessous) et UPS, en dépit de leur position dominante sur le marché américain, ont vu leurs marges bénéficiaires se réduire.
Intrusion dans
le frêt aérien
Encore positionnés, il y a dix ou vingt ans, sur des créneaux du marché souvent éloignés (des envois d'un poids moyen de 100 kg pour TNT, des lettres et des documents pour UPS et surtout DHL), les « integrators », dans leur expansion régulière, se sont, petit à petit, fait concurrence en allant chasser sur les terres du voisin. Une évolution qui s'est accrue avec la recherche concommittante de nouveaux marchés, à l'étranger et surtout dans une Europe divisée par des barrières douanières, trop vite perçue comme une proie facile. Les « integrators » ont du même coup fait intrusion dans des domaines d'activité où les acteurs en place (transitaires et compagnies aériennes) se croyaient à l'abri. Le rachat, au début de l'année 1989, du numéro un mondial du frêt aérien, Flying Tiger International, par Federal Express, a sans doute sonné le glas de leurs dernières illusions.
La riposte a été longue à s'organiser, mais semble aujourd'hui s'être clarifiée. Devant l'inanité de leurs propres services express, souvent montés à la hâte, les plus importantes compagnies aériennes ont choisi le jeu des alliances. C'est le sens de la prise de contrôle de DHL par Japan Air Lines et Lufthansa, qui, associées à la maison de négoce japonaise Nissho, vont détenir, à terme, 57,5% du capital du coursier international et faire de celui-ci un véritable cheval de Troie parmi les « integrators ». Pour sa part, Air France, dont la stratégie est plus hésitante dans ce domaine, devrait pousser les feux d'une collaboration étroite entamée au plan national avec la Poste et TAT Express. Parallèlement, les trois grandes compagnies japonaise, allemande et française, ont constitué un réseau informatique mondial (Global Logistic System) qui verrouille leur domination sur le marché du frêt aérien et s'attache, de gré ou de force, la coopération des transitaires-agents de fret aérien.
La Poste,
nouvel « integrator »
La réaction la plus fulgurante est venue des réseaux postaux. La constitution en France, en 1985, de Chronopost (appellation commerciale d'une société commune de droit privé de la Poste et de TAT), s'appuyant sur le réseau international EMS (150 pays), a constitué un franc succès, entâché, il est vrai par les critiques des transporteurs. Ceux-ci continuent d'accuser Chronopost de bénéficier indûment de la logistique du réseau public de la Poste. En l'espace de cinq ans, Chronopost a multiplié son chiffre d'affaires par dix (1,35 milliard de francs en 1990). Mais un tiers seulement est réalisé à l'exportation.
L'alliance avec l'australien TNT devrait faire disparaître ce point faible. Dans la nouvelle société commune (GD Net BV sera opérationnelle le 1er janvier prochain), TNT apporte sa logistique internationale, mal structurée côté Poste, en échange des volumes de trafic des réseaux postaux (cinq pour le moment, mais leur nombre n'est pas limitatif). La nouvelle entité pourrait réaliser, dès la première année, 7 milliards de francs de chiffre d'affaires. Un nouvel « integrator » est né dont la maîtrise de marchés domestiques n'est pas le moindre des points forts. Du moins apparaît­il aujourd'hui comme le seul groupe capable, en Europe, de contenir la stratégie d'implantation internationale massive que les deux mastodontes, UPS et Federal Express, devraient, malgré des difficultés passagères, poursuivre sous l'oeil attentif des messagers nationaux.

Philippe Moreau

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