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« Entrepreneurs, faites-vous piquer votre idée » : le surprenant conseil d'Eric Larchevêque (Ledger)

BONNES FEUILLES// Vous comptez entreprendre mais ne parlez pas de votre projet, de peur qu'on vous pique votre idée ? Vous avez au contraire tout intérêt à en parler. Explications d'Eric Larchevêque, cofondateur de Ledger, plateforme de gestion de cryptoactifs, dans cet extrait de son livre « Entreprendre pour être libre » (Editions M6), paru le 17 janvier.

Cofondateur de Ledger, Eric Larchevêque est aussi juré dans l'émission « Qui veut être mon associé ? » diffusée sur M6.
Cofondateur de Ledger, Eric Larchevêque est aussi juré dans l'émission « Qui veut être mon associé ? » diffusée sur M6. (Fred Stucin/Pasco And Co/M6)

Par Éric Larchevêque

Publié le 23 janv. 2024 à 07:02

Imaginez le scénario suivant : vous avez eu l'idée du siècle et vous vous réjouissez d'avoir été le premier au monde à y penser. La paranoïa s'installe immédiatement. Vous ne pouvez surtout pas prendre le risque de dévoiler votre idée à qui que ce soit ! Si vous sortez du bois et lancez votre projet, alors il sera exposé et des concurrents viendront vous copier.

Pour maximiser vos chances de succès, vous décidez de vous lancer uniquement lorsque votre projet sera suffisamment important et abouti pour tuer la compétition dans l'oeuf. Il vous faut donc de l'argent, beaucoup d'argent.

Mais si les investisseurs copiaient votre idée ? Heureusement il y a le NDA (accord de non-divulgation), et vous exigez sa signature avant d'envoyer quoi que ce soit. Cependant, aucun investisseur n'accepte, ni ne vous répond d'ailleurs… C'est sûrement qu'ils sont déjà sur le coup !

Alors vite, vous contactez votre avocat et investissez tout l'argent qui vous reste en propriété industrielle. Ahah ! Vous jubilez à l'avance de voir leurs têtes déconfites. Rassurez-vous, ceci n'était qu'un cauchemar ! Car maintenant, vous l'avez compris : une idée n'a aucune valeur, seule son exécution compte.

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En parler à tout le monde

Vous avez cependant du mal à vous ouvrir aux autres et à leur en parler : au fond de vous, vous ressentez toujours la peur irrationnelle que quelqu'un cherche à vous copier. Alors voici mon conseil pour sortir de ce mauvais pas : faites-vous piquer votre idée ! Comme ça, c'est fait, on peut passer directement à la suite.

Et la suite, justement, c'est d'en parler à tout le monde, pour affiner votre projet puis le sublimer. Personne ne vous le piquera… Et même si c'est le cas, vous ferez la différence par vos capacités d'exécution, d'adaptation et de réalisation dans monde réel. Quant à dépenser des sommes folles en propriété intellectuelle, cela n'a aucun sens à ce stade. Utilisez les services de base de l'INPI et protégez vos marques et logos, le tout pour quelques centaines d'euros, mais oubliez la notion de brevet pour une simple idée !

En gardant votre projet trop près de vous, vous prenez le risque de vous enfermer dans une entreprise inutile et loin des réalités du marché. Une idée est faite avant tout pour évoluer !

Echanger pour avoir des idées

Je me souviens d'un entrepreneur en devenir qui souhaitait absolument me parler de son projet, sur lequel il planchait en secret depuis des mois. Un « concept incroyable, pour un marché à plusieurs milliards ». Il voulait me la présenter car il était certain que je m'associerais avec lui pour l'aider à la mettre en oeuvre.

La voici : il travaillait dans les transports et voulait créer une sorte de Uber du colis, une alternative aux transporteurs classiques faisant appel aux personnes qui circulent, en voiture, en train, en bateau, en avion. Cette place de marché rassemblerait toutes les personnes qui voyagent, en indiquant leurs trajets à venir, et celles qui veulent envoyer un colis d'un point A à un point B. Le système mettrait tout ce beau monde en relation et le colis irait de A à B en passant par Jean-Michel, Martine et Bernard.

Alors, que penser de cette idée ? Je vais vous le dire : ça n'a aucun intérêt, c'est juste du vent. D'une part, elle n'est pas nouvelle : cette approche a déjà été tentée de nombreuses fois. Mais surtout, la vraie question (encore une fois) est : comment compte-t-il la réaliser ? Comment résoudre le problème majeur de la confiance ? Comment gérer le dernier kilomètre ? Comment assurer l'intégrité des colis ? etc. Autant de questions que, visiblement, il ne s'était jamais posées !

En discutant juste quelques minutes avec moi, il s'aperçut qu'il avait perdu des mois à fantasmer sur un concept inapplicable en l'état. Je l'ai réorienté sur une approche B2B beaucoup moins ambitieuse, mais qui avait au moins l'avantage d'avoir un plan d'exécution réaliste, et donc de lui permettre enfin de passer de la réflexion à l'action.

Partager l'idée… mais pas les secrets d'exécution

J'ai moi-même expérimenté (et compris !) l'intérêt de parler de mon idée. En 2010, alors que je suis à la recherche d'un nouveau projet, et donc en pleine phase d'idéation, je me rends compte que la nouvelle génération de smartphones ( iPhone, Android) permet de scanner des codes-barres grâce à leurs caméras (un peu comme à la caisse d'un supermarché).

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C'est aussi l'époque où la popularité de Facebook est en train d'exploser, avec un fort engouement sur le partage des « like » pour montrer ce que l'on fait et ce que l'on apprécie sur Internet. J'ai alors l'inspiration de combiner ces deux concepts pour créer une application scannant des codes-barres et générant automatiquement un like du produit scanné sur le fil Facebook de l'utilisateur. Par exemple, je scanne un pot de Nutella et ça publie « J'aime le pot de Nutella 750 g ». Jackpot ! C'est sûr, ça va cartonner ! Je code un premier prototype que je présente à quelques amis. « Alors, tu vois, tu scannes ta canette de Coca, et hop, ça ajoute un like sur ton fil Facebook ! »

Je suis surexcité et j'attends l'approbation enthousiaste de mon interlocuteur, tel un petit garçon rayonnant de fierté après avoir exécuté une pirouette devant son papa. « Mais c'est nul ton truc. » Le couperet tombe. Glacial… Et apparemment partagé par tous. C'est la douche froide.

Il se passe cependant quelque chose d'inattendu : ils se mettent à chercher d'autres produits pour les scanner. L'app' affiche en effet quelques informations sur les produits scannés, et visiblement cela génère de l'engagement !

En discutant de mon concept, j'ai finalement réussi à le faire évoluer dans la bonne direction et à le transformer en comparateur de prix. C'est ainsi que « Likestorm » a terminé au vide-ordures, remplacé par « Prixing ».

Pour finir, j'aimerais attirer votre attention sur le point suivant : j'ai montré à tout le monde mon prototype, pour obtenir des retours en vue de l'améliorer. En revanche, je n'ai jamais expliqué comment j'arrivais à obtenir les prix de produits de grande consommation quasiment en temps réel dans plus de 1.000 magasins en France. Partagez vos idées, oui, car elles n'ont aucune valeur, mais soyez avare de vos secrets d'exécution !

À noter

Ce texte est extrait du livre « Entreprendre pour être libre » d'Eric Larchevêque. Publié aux éditions M6 le 17 janvier 2024. 240 pages, 17, 50 euros. Disponible également en version lue par l'auteur chez Audiolib.

Pour lire un autre extrait de son livre, c'est par ici :

- Seed, série A, term sheet… La levée de fonds expliquée par Eric Larchevêque (Ledger)

Eric Larchevêque

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