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Témoignage

« Après un burn-out à 25 ans, je suis passé du luxe à l'agroalimentaire »

TEMOIGNAGE// Peut-on être épuisé par son travail après seulement deux ans de carrière ? L'expérience de Martin (son prénom a été modifié) prouve qu'un CDI dans un secteur qui fait rêver n'est pas la clé du bonheur au travail. L'enfer qu'il a vécu l'a conduit à un épuisement total et l'a poussé à s'orienter dans l'agroalimentaire.

Chef de produit dans une maison de couture, Martin ne trouvait plus de sens à son travail et le management subit l'a poussé à démissionner moins d'un an après avoir signé son premier CDI.
Chef de produit dans une maison de couture, Martin ne trouvait plus de sens à son travail et le management subit l'a poussé à démissionner moins d'un an après avoir signé son premier CDI. (Istock)

Par Aliénor Lefèvre

Publié le 29 mars 2024 à 07:00Mis à jour le 29 mars 2024 à 10:35

« Je n'ai pas toujours été destiné à travailler dans le monde de la mode. Comme je ne sais pas trop ce que je veux faire, j'intègre une école d'ingénieurs après ma prépa maths. Au cours d'une année de césure j'enchaîne deux stages de six mois. J'envoie mon CV à plus de 150 entreprises dans des secteurs très différents : l'énergie, l'agroalimentaire, la cosmétique… Seules des entreprises spécialisées dans le luxe acceptent ma demande.

J'entreprends un troisième et dernier stage à la fin de mon master 2 en tant qu'assistant chef de produit dans une maison de couture historique. Mon travail consiste à suivre le produit de sa conception à sa commercialisation. Je suis donc en lien avec les stylistes, les fabricants, je choisis les matières, je passe commande, je détermine le prix en fonction de la demande…

Une embauche dès la fin du stage, le Graal !

Mon stage est une super expérience. Je suis formée avec bienveillance. Dès la fin de mon stage, on me propose un CDD de remplacement pour débuter car « je suis trop junior pour avoir un CDI ». La charge de travail s'intensifie tout de suite. Je dois me mettre à niveau sur mon nouveau poste et superviser la nouvelle stagiaire. Je fais des journées d'au moins 12 heures mais mes nouvelles fonctions me plaisent.

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Finalement, malgré mon statut de junior, les chefs se rendent compte que je gère plutôt bien. La directrice accepte de prendre en considération ma candidature pour un CDI. C'est une opportunité en or car dans le luxe, ces contrats sont rares et encore plus en début de carrière. Après plusieurs CDD et beaucoup de stress lié à l'incertitude d'être renouvelé, j'obtiens un CDI. Quelques mois plus tard, plusieurs personnes de mon équipe quittent l'entreprise, ma charge de travail est impactée et explose.

Remise en question et perte de sens

C'est la douche froide, d'autant plus que depuis plusieurs mois, je me pose pas mal de questions sur le sens de mon métier. Les produits sur lesquels je travaille sont destinés à une élite que je ne côtoie pas et ne comprends pas. Je travaille de 8 heures à 20 heures pour traiter des urgences pour des clients qui ne peuvent pas attendre 24 heures de plus une robe à plusieurs milliers d'euros. C'est un stress constant. On vit au rythme des collections. Des périodes durant lesquelles on ne peut ni prendre de vacances, ni prévoir de week-ends en cas d'astreinte. Mon management est de plus en plus toxique. Je reçois des messages entre 6 heures du matin et minuit sur mon téléphone personnel. Je n'ai pas le droit au télétravail même si d'autres membres de mon équipe en font.

Parfois, le vendredi en fin de journée, on me demande de réaliser une étude sur un produit avec pour deadline le lundi matin. Mais le pire, c'est quand ma hiérarchie s'approprie mon travail et présente mes slides en réunion sans même me mentionner.

Une démission qui ne se fait pas sans vague

Un été, alors que la plupart de l'équipe est en vacances, je travaille sans stress pour la première fois depuis plusieurs mois et je réalise que la pression constante que je subis le reste du temps est anormale.

C'est un déclic. Malgré quelques hésitations, je préfère quitter le luxe pour m'orienter vers des produits plus basiques, essentiels et accessibles à tous. L'agroalimentaire m'attire car les produits répondent à ces critères. Aussi, j'ai des connaissances qui travaillent dans ce secteur, donc j'ai une bonne vision de comment fonctionne ce monde. Après plusieurs entretiens, je suis embauché dans une entreprise du secteur en dehors de Paris.

Trois mois avant le début de mon contrat, pour respecter mon préavis, j'annonce ma démission à ma direction en étant très transparent sur les raisons de mon départ : la charge de travail et le management toxique. Ma hiérarchie se montre totalement sourde face à ma situation et me dit que je suis hypersensible. Je dois garder ma démission secrète pendant un mois.

A partir de là, je vis un enfer. J'ai encore plus de travail, je suis victime de harcèlement et discrimination à la suite d'une décision qui pourtant m'appartient… Mais pour trois mois, je peux prendre mon mal en patience.

Un mois plus tard, c'est le coup de massue. Ma démission est annoncée aux équipes, en fin de réunion, en une minute chrono. Je ne peux même pas prendre la parole. C'est très violent et très humiliant. Une minute alors que je donne tout à cette boîte depuis deux ans.

Vivre un épuisement total à cause du travail

A cette annonce, je suis incapable de me remettre au travail. Je suis tétanisé devant mon ordinateur, mes mails défilent et je suis incapable de les traiter. Je pleure sans cesse. Après plusieurs jours dans cet état, un collègue me pousse à aller voir les RH. La DRH me dirige vers la médecin du travail.

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Cette dernière m'arrête immédiatement. Elle pose des mots : je suis dans un épuisement total à cause du travail : en burn-out. Selon elle, je dois quitter cet environnement de travail au plus vite pour limiter au maximum les répercussions sur ma vie professionnelle future. J'accuse le coup, je me sens vide.

J'ai deux mois avant le début de mon contrat dans ma nouvelle entreprise pour me remettre de mon burn-out. Cette deadline, bien courte, me force à réagir rapidement. Les premiers jours sont très compliqués, je suis épuisé. Rester chez soi quand tout le monde travaille est le plus dur. Je mets beaucoup de temps à retrouver le sommeil, je passe mes nuits à ressasser ce qu'il s'est passé. Quitter Paris me ressource. Je suis bien entouré et je parle sans tabou de ce que je ressens à mes proches. J'entame un suivi psychologique pour être apte à repartir sur un nouveau job sans aucune peur ni appréhension. Je prends du temps pour moi : je lis, je fais du sport, j'écoute des podcasts de développement personnel. Petit à petit, je commence à digérer et à me libérer.

Quand j'arrive dans ma nouvelle entreprise dans l'agroalimentaire, c'est le jour et la nuit. Aujourd'hui je dois suivre les tendances culinaires et développer de nouveaux produits. Mon salaire change sensiblement car les primes ne sont plus les mêmes, mais mon bien-être en tant que salarié est bien mieux respecté. L'ambiance est vraiment bonne, mes interlocuteurs principaux sont bien plus humbles qu'avant, ce sont des agriculteurs. J'ai aussi le droit à mes jours de télétravail et mes horaires sont plus flexibles, on me fait confiance.

Avec le recul je suis content d'arriver à tirer du positif de cette période. Je me suis rendu compte de certains grands dysfonctionnements du monde de l'entreprise, je peux aujourd'hui m'en protéger. J'ai appris sur moi et je sais fixer mes limites. Je n'accepte plus qu'on me marche autant sur les pieds, qu'on me vole mon travail, mes week-ends. Je place aujourd'hui mon équilibre et mon intérêt personnel au premier plan, avant celui de l'entreprise ».

À noter

Si vous avez aussi une belle (ou moins belle) histoire à raconter, n'hésitez pas à nous contacter : redaction-start@lesechos.fr

Et pour lire d'autres témoignages inspirants, c'est ICI.

Propos recueillis par Aliénor Lefevre

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