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Nicolas Ghesquière : «La mode ne m'est jamais apparue comme un monde inaccessible»

À la tête des collections femme de Louis Vuitton, le directeur artistique Nicolas Ghesquière y insuffle une modernité sublimée par la top-modèle Hoyeon. À la tête des collections femme de Louis Vuitton, le directeur artistique Nicolas Ghesquière y insuffle une modernité sublimée par la top-modèle Hoyeon.
À la tête des collections femme de Louis Vuitton, le directeur artistique Nicolas Ghesquière y insuffle une modernité sublimée par la top-modèle Hoyeon. Louis Vuitton

ENTRETIEN - Depuis dix ans à la tête des collections femme de Louis Vuitton, le directeur artistique y insuffle une modernité hors norme, sublimée dans les pages de Madame Figaro par la top-modèle et actrice coréenne Hoyeon.

De quoi Nicolas Ghesquière est-il le nom ? Des collections femme de Louis Vuitton, dont il est le directeur artistique, bien sûr, mais pas seulement. Créateur superstar, c'est à la fin de l'adolescence qu'il est entré «en mode», comme d'autres entrent en religion, avec cette foi inextinguible du style et du beau. De l'eau a coulé sous les ponts depuis son passage remarqué chez Balenciaga (de 1995 à 2012), avant qu'il n'intègre Vuitton, le numéro un des géants du luxe, en novembre 2013, avec une feuille de route aussi passionnante que périlleuse : installer explicitement la mode féminine chez Louis Vuitton, où il succède à Marc Jacobs qui a donné un nouvel essor à la maison.

Le travail de Nicolas Ghesquière durant ces dix premières années a payé : il a véritablement hissé Louis Vuitton au rang de marque mode emblématique, créative et visionnaire. La radicalité des débuts a laissé place à une ampleur et une générosité qui la font rayonner : Brigitte Macron, mais aussi Emma Stone ou Cate Blanchett ne jurent que par ce designer éclairé et sensible, au féminisme juste, qui célèbre une femme puissante, superhéroïne dont le vestiaire toujours tenu, archicontemporain, emprunte aussi bien à la science-fiction qu'au sportswear. Sa mode est avant-gardiste mais toujours respectueuse : «Je n'aime pas les vêtements sexualisés qui découvrent trop et objetisent la femme. Le voyeurisme, le regard qui se porterait là où il ne devrait pas, cela me dérange. Le respect n'exclut ni le désir ni le fantasme», dit-il avec pertinence. Interview.

Madame Figaro. – Vous fêtez dix ans de création chez Louis Vuitton. Que retenir de cette décennie : De l'accomplissement, des tourments ?
Nicolas Ghesquière. – Tout cela à la fois. Les collections, les joies, les doutes, mais aussi la crise du Covid qui a ébranlé le système, redistribué les cartes et induit une façon différente de travailler. Et puis, on a assisté en parallèle à l'essor considérable des réseaux sociaux : Louis Vuitton lui-même est devenu un média à part entière avec des dizaines de millions de gens qui regardent les shows, qui sont devenus plus gros et plus spectaculaires. Le propos de la mode reste la priorité, mais il faut sans cesse le recontextualiser et lui donner un sens, car les histoires véhiculées commencent dans le studio pour s'achever dans les vitrines : ce n'est pas rien. Cela a également été un challenge à cet égard, car ma mode peut se lire comme une sorte de patchwork mental, avec des couches d'inspirations multiples qui se lient et forment un tout. Cette complexité, c'est probablement ma signature – j'espère qu'elle est identifiable –, mais il a fallu mettre des mots sur tout cela et simplifier en gardant une intégrité. Évidemment, c'est une démarche passionnante. Il y a eu aussi ces collections croisière qui n'existaient pas, une odyssée du voyage qui nous a entraînés à Rio, à Kyoto ou à Saint-Paul-de-Vence, des souvenirs extraordinaires. Voilà. J'ai été invité à écrire une histoire de mode qui avait commencé avec Marc Jacobs. Marc a défriché le terrain et signé des collections marquantes. Après son départ, j'ai été très bien accueilli par des gens qui partagent la même passion. Ma mission était de développer les codes, de renouveler les classiques, d'inventer les classiques du futur plus exactement. D'autres expressions, d'autres couleurs, d'autres femmes. Nous avons fait de grands pas. C'était et c'est toujours une grande responsabilité d'écrire le style de cette maison et de l'inscrire dans un imaginaire collectif, un travail colossal accompli avec beaucoup de forces humaines remarquables, les gens des studios, ceux qui sont là, ceux qui n'y sont plus et qui font carrière ailleurs. Quand je suis arrivé, tout m'a paru à la fois écrasant et grisant : les possibilités et les ressources infinies, le terrain d'exploration sans limites. Il a fallu que je m'organise et que je priorise.

Comment rester le créateur libre et intransigeant que vous êtes dans un groupe surpuissant ?
La clé, c'est de rester à l'écoute. Puis, ensuite, de créer librement en tordant les choses pour se retrouver. Il y a la contrainte et l'exercice né de cette contrainte : trouver un chemin. La liberté reste immense dans cette maison superstructurée, avec un dispositif de développement hors du commun, incroyablement efficace. Le résultat est énorme. Je ne parle pas seulement des chiffres, mais également de l'impact créatif et culturel.

Avez-vous connu des périodes de découragement ?
Découragement, pas vraiment, mais des moments de doute, oui, des doutes personnels : «Fais-je assez bien ? Comment répondre à la demande ?» J'ai été très bien épaulé : Delphine Arnault, Pietro Beccari et, avant lui, Michael Burke. Ces moments de doute permettent de rebondir. Il m'a fallu y répondre, sortir d'un micromanagement, prendre de la hauteur, du recul.

À la tête des collections femme de Louis Vuitton, le directeur artistique Nicolas Ghesquière y insuffle une modernité hors-norme. Louis Vuitton

Quel homme étiez-vous il y a dix ans ?
J'étais différent, plus «enfermé» : je crois que je m'empêchais. Je me suis ouvert, je sais où est ma place, il y a comme une plénitude : j'apprécie la reconnaissance, sans m'en satisfaire. Je porte une voix, ma voix, et c'est extraordinaire, ce dont j'ai toujours rêvé. J'ai eu 50 ans, je suis très à l'aise avec l'âge, très excité de voir apparaître d'autres voix que la mienne, et je considère le passé avec affection.

Parlez-nous de votre enfance…
Je suis né dans le Nord, une ville frontière, mon nom est belge. Quand j'ai eu 6 mois, nous sommes partis à Loudun, près de Saumur, où j'ai grandi. Il y avait assez peu d'accès à la culture, à part la télévision et les magazines, et encore, pas tous, Vogue, il fallait le commander. Très vite, j'ai exprimé mon envie de devenir styliste. Mes parents sont ouverts d'esprit : ils m'ont accompagné. J'étais un adolescent différent, mais plutôt armé. J'étais sportif, ce qui était un atout au lycée. Je m'inventais un monde, je découvrais Jean Paul Gaultier et Alaïa, j'étais curieux, j'archivais tout dans ma tête. La mode ne m'est jamais apparue comme un monde inaccessible. Peut-être que l'époque facilitait ça ? En tout cas, j'étais sûr que ce serait ma vie. Il y a eu des stages chez Agnès b, un petit job chez Corinne Cobson. Après le bac, je suis parti à Paris en promettant à mes parents que je rentrerais chez Jean Paul Gaultier dans les six mois. Et c'est ce qui est arrivé. Je bossais jour et nuit, j'avais cette nature-là, la passion dévorait tout, y compris ma vie personnelle.

Jean Paul Gaultier est-il votre mentor ?
Il y a eu Jean Paul et Azzedine. Jean Paul est un mentor au sens où il a changé la manière dont on s'habille, dont on voit les choses ; il a changé l'image des femmes, des gens, des genres, il a inventé des choses qui n'existaient pas avant lui, il a brouillé les pistes. Il reste pour moi la figure du grand couturier que j'avais en tête lorsque je suis arrivé à Paris. Il est très mystérieux, très privé, je continue de le regarder avec une certaine intimidation. Avec Azzedine, la glace s'est brisée plus facilement et, plus tard, je suis devenu ami avec lui. Je lui garde une affection énorme. Et puis, il y a eu Karl. On a mis du temps à se rencontrer car je résistais, ce qui était idiot. À l'époque, j'avais du mal à m'intégrer à ce monde de la toute-puissance, et j'avais un sentiment d'indépendance très fort qui faisait que, souvent, j'évitais les sollicitations ou les soutiens. Karl était très intrigué par cette distance. Plus tard, le prix LVMH, auquel il participait activement, nous a rapprochés. Il me manque beaucoup. Il a inventé le métier de directeur artistique tel qu'il se pratique aujourd'hui, nous lui devons tous quelque chose. C'est très important d'avoir des gens à admirer, Karl, Azzedine, Jean Paul. Et c'est très beau de penser à ceux qui sont partis.

Nicolas Ghesquière : vêtements personnels. Hoyeon : Redingote rayée et robe fluide, collant et sac Around Me, Louis Vuitton. Louis Vuitton

D'une certaine façon, vous êtes leur héritier, avec cette particularité notable d'avoir un pied dans deux mondes, celui des classiques et celui des modernes…
Suis-je un passeur ? Peut-être. C'est vrai, aujourd'hui j'ai envie de donner et de transmettre. J'ai la responsabilité d'un rôle que l'on m'a confié et je l'assume. La mode a changé. Il y a une plus grande multiplicité de points de vue. J'ai la chance d'être au centre de la galaxie, dans la plus grande maison au monde, mais je me réjouis de l'émulation que crée chaque Fashion Week, avec ses nouveaux arrivants, ses surprises, ses exaltations. Tout cela me ravit. Je regarde le travail des autres avec intérêt, celui de Julien Dossena ou de Martine Rose, mais aussi celui de Phoebe (Philo), Hedi (Slimane) ou Raf (Simons). Et puis, il y a tout un nouveau pan de la mode, celui que j'appelle la pop culture, une inclinaison intéressante, complémentaire, sûrement enrichissante. Il y a des prises de parole différentes, et c'est très bien.

On disait que votre mode était cérébrale. On le dit moins.
Tant mieux. Je n'aime pas les niches. C'est bien si c'est cérébral, c'est bien si c'est autrement. Quand j'étais plus jeune, c'était important pour moi, il avait quelque chose de l'ordre de la sanctuarisation. Mais les niches emprisonnent, au-delà de la beauté qu'elles véhiculent. Chez Balenciaga, il fallait fêter des orientations contraires : l'exclusivité et la visibilité. On va dire que j'ai alors brouillé les pistes dans une sorte de vase clos. Cela ne m'a pas quitté complètement, mais j'ai découvert que l'engagement et l'implication ne sont pas altérés par plus de légèreté. J'ai également laissé de la place à une vie personnelle que je ne m'autorisais peut-être pas et qui m'est indispensable aujourd'hui. Je me suis débarrassé des dogmes.

Nicolas Ghesquière : «La mode ne m'est jamais apparue comme un monde inaccessible»

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1 commentaire
  • MARIANNE MONDIALE DE FRANCE

    le

    Je n’aime pas les hommes qui créé pour la femme. Leur opinion, quelqu’elle soit, est toujours celle d’un homme qui objectivise les femmes.
    C’est à la femme de créer pour la femme. Et non plus à l’homme !

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