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Les profs utilisent un langage secret dans les bulletins scolaires - 5 d'entre eux expliquent comment le décoder

Tous les professeurs interrogés l'assurent : ce langage codé est pratiqué et compris par l'ensemble des enseignants.

Remplir les bulletins scolaires fait partie des missions importantes des enseignants. Ils y compilent notamment les fameuses appréciations, qui peuvent avoir un impact significatif sur l'avenir des élèves. Conscients de ce poids, les professeurs interrogés par Le Figaro Étudiant expliquent recourir à un langage codé pour éviter de décourager les élèves, tout en transmettant des messages à leurs collègues et aux parents.

"On ment (aux élèves, ndlr) de la maternelle jusqu'au Capes", commence vivement Emmanuel Caquet, professeur de lettres classiques au lycée Lakanal à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, en citant l'enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli. "Sous couvert d'une injonction générale à la bienveillance, les professeurs doivent faire très attention aux mots employés dans les bulletins", poursuit-il. Un ressenti partagé par Baptiste Benoit, professeur agrégé d'histoire-géographie et responsable de la prépa Lettres au lycée Fénelon, situé à Clermont-Ferrand. Selon lui, Parcoursup exacerbe encore plus le phénomène : "Depuis la fin d'APB (l'ancêtre de Parcoursup, ndlr), le système a mis en compétition les élèves les uns avec les autres ainsi que les professeurs. Passer par un langage codé permet de se protéger".

Professeur de SVT dans un lycée de l'académie de Nice, Mehdi Ben Nasr pratique cet art avec soin. Lorsqu'il remplit les bulletins, des remarques comme "n'a pas travaillé" se transforment en "manque d'investissement" ou "méthode de travail à revoir". Pour ce qui est de l'attitude, "élève désagréable qui bavarde régulièrement" devient "manque d'attention" ou "doit rester davantage concentré en classe". "J'essaie de ne pas employer de termes trop péjoratifs et de rester évasif dans ma formulation pour ne pas trop stigmatiser l'élève et le décourager", précise l'enseignant. Nicolas Stenfeld, professeur de SES au lycée Janson-de-Sailly, à Paris, reconnaît être "gêné par le fait d'écrire des remarques sur le comportement des élèves", parce qu'il sait que "cela peut nuire à l'avenir des élèves". Mais il explique "essayer d'être toujours objectif et de rester factuel".

Dans le supérieur, aussi, les professeurs ont recours à ce langage codé. "Aujourd'hui, même en prépa, on est obligé de maquiller les bulletins, insiste Emmanuel Caquet. On ne peut pas mettre d'appréciations négatives", continue-t-il. Ainsi, plutôt que de mettre une mauvaise appréciation, l'enseignant écrira "on vous souhaite beaucoup de réussite dans votre avenir", explique le professeur de Lettres classiques. Geneviève Davion, professeure de mathématiques en CPGE au lycée Montaigne à Paris, reconnaît, elle aussi, utiliser ce langage codé. Toutefois, elle préfère parler de "formulations politiquement correctes". "Plutôt que d'écrire qu'un élève a tendance à tricher, je dis 'il faut faire preuve de davantage d'honnêteté' ou encore au lieu d''élève insolent', je mets 'l'attitude est perfectible'", confie la professeure.

Baptiste Benoit, qui décode ce langage dans le cadre de l'examen des dossiers Parcoursup, ainsi que les autres professeurs interrogés l'assurent, "ces codes sont compris par toute la profession et tous les enseignants les utilisent". Les professeurs ne sont pas les seuls à se servir de cette pratique. Les chefs d'établissement y ont également recours, notamment dans les lettres de recommandation. "Quand on examine les dossiers, dans le cadre de Parcoursup par exemple, et qu'on lit 'il a le potentiel', cela veut dire que l'élève n'est sans doute pas au niveau de la formation", explique Emmanuel Caquet. Et de conclure : "tout est dans la finesse".

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