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L’assurance-vie peut-elle populariser le private equity ?

Les montants levés par les GPs à travers les unités de compte des contrats d’assurance-vie devraient augmenter avec les évolutions apportées par la loi industrie verte. Mais des inquiétudes émergent.

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Publié le 8 févr. 2024 à 16:20

La démocratisation du private equity passera-t-elle par l’assurance-vie ? Depuis 2015 et la loi Macron, les pouvoirs publics s’y attellent en tout cas : ce premier texte a en effet ouvert la voie en donnant accès à cette classe d’actif via le produit d’épargne préféré des Français – 1.923 Md€ de stock en 2023. Quatre ans plus tard, la Loi Pacte a fixé à 50 % la limite de la valeur totale du contrat investi et a inclus les Plan d’épargne retraite (PER) dans les supports pouvant accueillir une poche de private equity.

Une nouvelle étape pourrait bien être franchie dans la démocratisation du capital investissement grâce à la loi industrie verte, promulguée en octobre dernier. Cette loi, qui vise à « financer davantage la décarbonation » des entreprises, entend ainsi instaurer une part minimale d’unités de compte investie dans des fonds d’actifs non cotés sur certains profils d’allocation.

Ticket d’entrée plus bas

Dans le détail, la volonté de la loi industrie verte est d’imposer entre 2 % et 15 % des versements dans le non coté, selon les épargnants. Cette disposition exclut les profils les plus prudents. De quoi nourrir les flux avec des UC qui représentent 41 % des cotisations d’assurance-vie en 2023 et une collecte nette de 30 Md€.

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Alors qu’il est possible d’investir en direct pour une personne physique dans le non coté à travers des fonds spécialisés, l’investissement indirect permis par l’assurance-vie et le PER comportent, en outre, plusieurs avantages. « L’assurance-vie va permettre pour certains fonds de minimiser le ticket d’entrée dans la classe d’actif. Alors qu’on investit un ticket minimum avoisinant souvent les 100.000 € en direct dans un FCPR, ce seuil peut être abaissé, dès 1.000 à 25.000 € via l’assurance-vie », décrit Emilien Vallet, directeur adjoint de la Gestion de Fortune chez Swiss Life Banque Privée.

BNP Paribas Banque privée, qui vient de signer un partenariat exclusif jusqu’en avril pour distribuer un fonds de dette privée de Blackstone, a pour sa part mis en place un ticket minimal de 30.000€, plafonné à 10 % de l’encours de l’assurance-vie des particuliers. La cible est donc déjà une population plutôt fortunée. Outre les avantages successoraux et fiscaux, les courtiers, CGP et banques privées qui les distribuent mettent surtout en avant la performance du non coté.

Des montants encore limités

Les acteurs espèrent enfin faire décoller ce marché souvent présenté comme un nouveau relais de croissance, à un moment où les levées auprès des institutionnelles sont en bernes. Car les capitaux levés par les GPs via l’assurance-vie restent jusqu’ici relativement faibles.

Sur l’ensemble de l’année 2021, ce sont 393 M€ qui ont été collectés via l’assurance-vie en unités de compte par les acteurs du capital-investissement français et 613 M€ en 2022, selon l’étude d’impact de la loi industrie verte. « La part de capital-investissement dans les actifs des assureurs-vie reste marginale (1,3 % des investissements) au premier trimestre 2022 pour 30 Md€ de fonds investis », regrette ainsi l’étude.

Sur la moitié de l’année 2023, on compte pour l’instant seulement 231 M€ récoltés sur un total de 12,5 Md€, dont 2,3 Md€ au total auprès des particuliers et family offices, selon une étude de France Invest et Grant Thornton.

Un flux qui pourrait plus que doubler

« Le chiffre minore largement le total levé à destination du non coté puisqu’il ne prend en compte que les sommes alloués à des fonds de capital-investissement », défend Alexis Dupont, directeur général de France Invest. Autrement dit, cela exclut par exempletoute l’activité d’Eurazeo, précurseur sur le marché avec plusieurs stratégies accessibles via l’assurance-vie, qui a levé 500 M€ de cette manière en 2023.

« Les décrets d’applications sont en train d’être finalisés, mais cela devrait représenter quelques centaines de millions d’euros pour l’industrie. Un moteur auxiliaire appelé à accélérer mais qui restera modeste en somme », reconnaît Alexis Dupont. Bercy évoque de son côté des flux de collecte de 1,5 à 3 milliards d’euros par an pour le non coté en assurance-vie et entre 1 et 2 milliards d’euros par an pour le PER dans l’étude d’impact.

Frais et liquidité

Des associations d’épargnants individuels pointent toutefois du doigt l’aspect risqué et peu liquide du non coté. Alors que certaines compagnies permettent le rachat à tout moment, souvent avec des frais, la plupart exigent une période de conservation, souvent de 5 ans minimum. Les fonds ouverts et Evergreen, qui n’ont pas de durée de vie limitée comme les fonds fermés, permettent une plus grande souplesse dans les rachats que les fonds fermés, rappellent plusieurs acteurs. Ils proposent ainsi une fenêtre de liquidité trimestrielle. C’est par exemple la formule choisie par Blackstone pour son fonds de dette avec toutefois un plafond de rachat.

La principale critique des détracteurs porte toutefois sur les frais. « Le capital-investissement n’est pas vraiment fait pour vivre à travers le PER ou l’assurance-vie dont les frais de gestion des enveloppes mangent les performances », estime par exemple Stéphane Fantuz, président de la CNCEF Patrimoine. Alors que les rendements visés par le non coté sont souvent affichés entre 8 et 14 %, les frais se superposent dans le cas des UC entre les distributeurs et les gestionnaires du contrat. L’industrie du capital investissement estime toutefois qu’il est possible de viser un rendement net de frais de l’ordre de 10 % pour les particuliers via l’assurance-vie.

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Assureurs prudents

Une telle évolution dans l’accès au private equity porte aussi des enjeux pour les assureurs et les fonds. Les compagnies d’assurances et mutuelles sont ainsi sorties du bois en 2023 pour évoquer les craintes de fléchage trop forte de l’épargne qui pourrait réduire la concurrence en uniformisant un peu plus les produits d’assurance-vie. « Les assureurs se sont mobilisés pour qu’à travers les décrets en préparation, l’intérêt des épargnants soit bien pris en compte, notamment afin de préserver une offre d’assurance-vie large et diversifiée », affirme ainsi France Assureur.

Les sociétés de gestion se préparent aussi. « Accéder aux UC des assureurs demande un gros travail de référencement auprès de ces acteurs. Cela nécessite aussi de faire du travail de marketing et de pédagogie auprès des distributeurs dans un deuxième temps, ce qui requiert des moyens », témoigne Luc Maruenda, qui dirige les activités retail aux particuliers chez Eurazeo. La route est tracée.

B.D.M.

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