Lorsqu’il prend la parole, à l’ancien aéroport Atatürk, sur la rive européenne d’Istanbul, le dimanche 24 mars, le président turc Recep Tayyip Erdogan ne parle pas en homme d’Etat. Après avoir à peine prononcé le nom de Murat Kurum, le candidat désigné par sa formation, le Parti de la justice et du développement (AKP), pour reprendre la métropole des mains de l’opposition, il lance à la foule : « J’espère qu’Istanbul retrouvera ses propriétaires ce 1er avril », au lendemain des élections municipales. Aux « oui » du public, il répond : « Voilà la ville à laquelle j’ai consacré ma vie et pour laquelle je consacrerai mon dernier souffle. »
Tout est dit, d’entrée et sans trop d’artifices, dans ces propos d’une sincérité a priori sans équivoque. Né à Istanbul, élevé dans un de ses quartiers les plus populaires, « Tayyip bey », comme l’appellent ses adeptes, n’a jamais vraiment quitté la ville qui a été le tremplin de sa fulgurante carrière politique. Elu maire en 1994, pour un mandat très remarqué, il a gardé la main sur les affaires et la gestion de la mégapole pendant près de vingt-cinq ans avec ses relais de l’AKP, le temps des victoires électorales, jusqu’à cette cuisante défaite de 2019 au profit de l’opposant Ekrem Imamoglu, aujourd’hui candidat à sa propre succession.
Istanbul est « l’élément-clé de la marque Erdogan », dit l’analyste et journaliste Amberin Zaman. Une ville monde qui, au-delà même de la charge symbolique qu’elle revêt pour le président, représente près de la moitié de l’assiette fiscale du pays et environ un tiers de sa production économique. Sa gouvernance est une source inestimable de clientélisme pour les officines politiques, un accès important aux ressources publiques et privées. « Il peut se permettre de perdre à nouveau Izmir et Ankara, comme cela semble se profiler, mais pas Istanbul, où la victoire est devenue pour lui essentielle », souligne l’essayiste Mehmet Altan.
C’est précisément parce que le maire sortant, chef de file du Parti républicain du peuple (CHP), se présente avec de réelles chances de garder son fauteuil que Recep Tayyip Erdogan s’est résolu à descendre dans l’arène, dans cette dernière ligne droite. L’occasion d’endosser un rôle qu’il a toujours affectionné : celui du chef qui se jette dans la mêlée, harangue la foule et défie en duel son adversaire du moment, le seul d’ailleurs capable de lui faire de l’ombre, « ce cher Ekrem », comme il l’a nommément désigné pour la toute première fois, dimanche 24 mars.
Candidat « sans personnalité politique »
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