La Slovaquie supprimera définitivement son parquet spécialisé sur la criminalité organisée, près de vingt ans après l’avoir mis en place. Ainsi en a décidé le Parlement slovaque jeudi 8 février, en approuvant une modification du code pénal, qui prévoit la suppression du bureau du procureur spécial d’ici au 20 mars, trois jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Instrument clé depuis 2021 dans la lutte contre la corruption et le crime organisé dans ce pays d’Europe centrale de 5,4 millions d’habitants, ce parquet avait engagé plus d’une dizaine de poursuites contre des personnes liées à l’actuel premier ministre, Robert Fico.
« Le bureau du procureur spécial était un instrument crucial pour lutter contre la corruption au plus haut niveau, il s’était mis à enquêter efficacement sur des cas délaissés auparavant », explique au Monde l’avocate Eva Kovacechova, engagée auprès de Via Iuris, une ONG défendant l’Etat de droit en Slovaquie.
Le classement de l’ONG Transparency International témoigne des progrès réalisés en 2023 par la Slovaquie dans ce domaine. Le pays avait atteint son meilleur score en onze ans, se classant 47e sur les 180 pays évalués.
Pression de la rue
Le bureau du procureur spécial s’était notamment intéressé à l’assassinat du journaliste Jan Kuciak et de sa fiancée, Martina Kusnirova, abattus à leur domicile en 2018. Ce double meurtre avait bouleversé la Slovaquie et précipité le départ du gouvernement de Robert Fico. Jan Kuciak enquêtait sur les fraudes fiscales des oligarques proches de Robert Fico – au pouvoir à l’époque – et s’apprêtait à révéler leurs liens avec la mafia italienne.
Pour bien des Slovaques, la suppression de ce parquet de haut niveau est un outrage à la mémoire du couple disparu. La pression de la rue, qui a rassemblé des dizaines de milliers de personnes à plusieurs reprises dans le pays depuis le 6 décembre 2023, l’obstruction de l’opposition (qui a boycotté le vote) et les avertissements de l’Union européenne n’auront réussi qu’à repousser l’échéance d’un mois.
Sauf que la coalition tripartite du populiste Robert Fico, oscillant de la gauche à l’extrême droite, et détenant la majorité au Parlement depuis les législatives de septembre 2023, semblait déterminée à en découdre avec l’institution. Quitte à opter pour une procédure législative accélérée, court-circuitant l’avis des experts.
Vengeance
Un modus operandi décrié par l’Union européenne, par l’opposition mais aussi par la présidente de la République Zuzana Caputova. Cette dernière, avocate de métier, avait appelé le gouvernement à reconsidérer des amendements « mal conçus et précipités », susceptibles de « causer des dommages sociétaux imprévisibles ».
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