Chronique. Le débat qui agite le milieu de la recherche au sujet de la loi de programmation de la recherche actuellement en préparation porte, entre autres, sur l’injonction adressée par l’Etat aux institutions scientifiques publiques (CNRS, universités, grandes écoles) de valoriser, au sens sonnant et trébuchant, leurs recherches par des dépôts de brevets ou des partenariats de recherche avec les entreprises. Nombre d’institutions scientifiques ont déjà intégré cette injonction au point d’utiliser des fonds publics pour soutenir la création, voire le développement de start-up. Cette valorisation n’est ni nouvelle ni mauvaise en soi, quoique certaines dérives interrogent. En revanche, cette injonction met en danger le délicat et nécessaire équilibre né au XIXe siècle entre les vertus de désintéressement et d’utilité exigées de la science.
Gabriel Galvez-Behar, professeur d’histoire à l’université de Lille, a décrit l’émergence de cet équilibre en prenant le cas de Louis Pasteur (« Louis Pasteur ou l’entreprise scientifique au temps du capitalisme industriel », Annales. Histoire, Sciences Sociales n° 3, 2018). Scientifique mythique, celui-ci est célébré pour des vaccins à l’usage des humains découverts sous son autorité à la fin de sa carrière, alors qu’il était déjà un savant reconnu. L’auteur montre que, derrière cette façade, se cache soigneusement un véritable entrepreneur de science dont une grande partie des découvertes – sur l’alcool de betterave, la bière ou les vaccins animaux – ont donné lieu à des brevets exploités industriellement, avec parfois sa collaboration directe, et à des revenus suffisamment importants pour constituer un vrai patrimoine (un million de francs or, soit l’équivalent de plusieurs dizaines de millions d’euros). Plus important, il explique comment Pasteur est représentatif des ambiguïtés irréductibles des pratiques savantes à l’époque dans les domaines où les applications industrielles sont importantes.
Renforcer l’autonomie de la science
D’un côté, les savants cherchent à renforcer l’autonomie de la science au nom du désintéressement des scientifiques, désintéressement collectif qui résulte de procédures de validation par les pairs indépendantes des performances monétaires comme des autorités politiques. Ce combat vise à obtenir la création d’institutions scientifiques autonomes pour échapper aux relations de patronage industriel ou étatique. Il aboutit à la création de l’Ecole pratique des hautes études, en 1868, et du CNRS, en 1939, et, partout dans le monde, à l’inamovibilité des universitaires.
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