SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION
L’un des plus vieux serpents de mer d’Hollywood vient enfin de sortir la tête de l’eau. Megalopolis, sans doute le film le plus attendu de cette 77e édition cannoise, qui signe le retour après treize ans (Twixt, 2011) de Francis Ford Coppola, tumultueux et mythique cinéaste du Nouvel Hollywood, de ceux qui ont plus d’une fois tout risqué et tout perdu, a été présenté au deuxième jour de compétition.
C’est un projet que l’auteur du Parrain (1972) et de Dracula (1992) porte depuis plus de quarante ans, envisagé à la charnière des années 1970-1980 dans la foulée d’Apocalypse Now (1979), mis en route puis interrompu pour cause de faillite (le four de Coup de cœur en 1982), mais qu’il n’a jamais cessé d’évoquer. Et pour lequel il vient de mettre, si l’on peut dire, sa peau sur la table, l’ayant financé sur la vente d’une partie de ses propres vignobles, pour un budget faramineux de 120 millions d’euros. A 85 ans, le cinéaste, en lice pour une troisième Palme d’or, est allé jusqu’au bout de son rêve de grandeur.
Le film qui en résulte a de quoi sérieusement décontenancer, surtout si l’on attend de Coppola un ultime chef-d’œuvre comme à la grande époque. Megalopolis s’inscrit plus naturellement à la suite de ses dernières livraisons depuis L’Homme sans âge (2007), des fictions imparfaites, bancales, mais toujours animées par un esprit de recherche, à ceci près que le déséquilibre prend ici les proportions démesurées d’un budget dix fois supérieur.
Le film se présente d’emblée comme une fresque débordante, un invraisemblable traité civilisationnel d’urbanisme, d’histoire, de philosophie, de politique, en même temps qu’un feuilleton pulp mené tambour battant, comme si le cinéaste au soir de sa vie avait voulu tout y mettre – ses goûts, ses idées, ses visions –, le tout fusionné dans un grand trip baroque. Le risque du trop-plein y côtoie une progression lacunaire, pétrie de trous, de scènes qui restent à faire, d’articulations hâtives, de personnages sacrifiés, qui donnent surtout l’impression d’un grand chantier à ciel ouvert – et la métaphore sied bien à un film ayant pour sujet l’urbanisme.
Chute des empires
Coppola transpose dans l’espace américain un épisode historique célèbre de la Rome antique, pour laquelle il nourrit une obsession de longue date : la conjuration de Catilina, où l’ambition d’un seul homme, aspirant consul, a failli mettre à mal toute la République lors du règne de Cicéron.
Dans la ville de New Rome – un New York alternatif du XXIe siècle – une dispute oppose l’architecte visionnaire César Catilina (Adam Driver) au maire en place Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito) concernant l’aménagement du territoire. Le premier, entrepreneur audacieux dont le modèle individualiste pourrait être Le Rebelle (1949), de King Vidor, inventeur d’un matériau révolutionnaire dit « mégalon », voudrait faire émerger d’un quartier en voie de démolition la cité du futur, un réseau vivant inspiré des formes naturelles. L’autre, politicien roué en perte de vitesse, accusé de créer de la dette, joue la démagogie ordinaire et favorise les intérêts privés.
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