NETFLIX - À LA DEMANDE - SÉRIE DOCUMENTAIRE
Les premiers plans font penser à de l’urbex, ce loisir consistant à visiter des bâtiments désaffectés : une bande de jeunes adultes armés de lampes de poche se promènent dans des lieux précipitamment désertés, où traînent encore meubles et documents éparpillés. Mais ils ne découvrent pas Ivy Ridge, au contraire : tous ont été placés dans cet établissement du nord de l’Etat de New York de force, par leurs parents, à l’adolescence. Et tous y ont vécu un cauchemar de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
Au travers de leurs témoignages et de centaines de documents découverts sur place, la réalisatrice Katherine Kubler, elle-même littéralement enlevée – avec l’accord de ses parents – et envoyée de force dans les lieux, décortique les méthodes perverses et la brutalité des responsables de cet établissement supposé rééduquer des adolescents perturbateurs en « modifiant leur comportement » : isolement complet, règles aussi drastiques qu’absurdes, privation de nourriture, de sommeil, violences physiques et verbales… Et usage de techniques psychologiques s’apparentant à du lavage de cerveau, similaires à celles utilisées pour les « thérapies de conversion » infligées à des adolescents homosexuels.
Régulièrement, les près de cinq cents pensionnaires d’Ivy Ridge sont soumis à des « séminaires », auxquels ils doivent impérativement se plier pour espérer sortir de cette prison. Mis à l’isolement sensoriel, empêchés de dormir ou de manger, ils doivent par exemple répéter les mêmes phrases et les mêmes gestes une journée entière, frapper le sol à l’aide d’une serviette roulée en criant durant des heures, rédiger des « confessions » sur leur « mauvais comportement », se livrer à des danses humiliantes devant les autres, incités à stigmatiser la victime du jour.
Discours aux relents sectaires
Outre ces méthodes, plusieurs récits évoquent des violences sexuelles de la part de responsables de l’établissement. Les témoignages des rescapés, tous durablement traumatisés, appuyés par des images tirées des caméras de vidéosurveillance, sont aussi efficaces que glaçants.
Au fil des trois épisodes, selon un découpage familier des séries documentaires true crime de Netflix, la focale s’élargit. Outre Ivy Ridge, c’est tout un lucratif réseau d’établissements similaires que gère la World Wide Association of Specialty Program and Schools (WWASP) aux Etats-Unis, au Mexique et jusqu’en Jamaïque ou en République tchèque.
Près de 25 000 adolescents y ont été soumis durant une décennie aux mêmes abus, avec l’accord de familles dupées par un discours aux relents sectaires. Le « génie » du fondateur du WWASP, Robert Lichfield, militant républicain issu d’une famille mormone de l’Utah, est d’user des parents eux-mêmes comme recruteurs : les familles obtiennent des réductions sur le coût du séjour si elles convainquent d’autres parents d’envoyer leur enfant à Ivy Ridge ou dans une autre succursale de la WWASP.
Il faudra une émeute des adolescents en 2005 – réprimée par les forces de police locales – pour lever un bout du voile qui entoure Ivy Ridge. L’établissement sera finalement fermé en 2009. Mais, malgré plusieurs actions en justice, le WWASP existe toujours, de même que de nombreux autres « programmes » du même type.
Le Programme : sectes, mensonges et enlèvements, série documentaire en 3 épisodes de Katherine Kubler, avec Janja Lalich, Maia Szalavitz (EU, 2024, 3 × 62 min).
Contribuer
Réutiliser ce contenu