Ma vie face au cancer (16/16) : l'expérience d'une vie

Clémentine compose avec cette "peur de mal mourir" qui parfois l'a gagnée. Elle vit ses derniers jours auprès de ses proches, se prépare à ses derniers instants, guidée par "l'envie de donner". Et elle savoure jusqu'au dernier "tous ces petits moments, tous ces petits bonheurs", avant de "mourir pour de vrai".
Article rédigé par Clémentine Vergnaud, Samuel Aslanoff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10 min
Ma vie face au cancer, épisode 16 : l'expérience d'une vie. (FLORENCE BROCHOIRE)

Clémentine Lecalot-Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023 après s'être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt. Elle avait 31 ans. Le 1er juin, le podcast auquel elle tenait tant était sorti. Dix premiers épisodes où elle racontait son combat face à la maladie, ses espoirs et ses doutes. Pour, disait-elle, "laisser une trace". Quelques semaines avant sa mort, depuis sa chambre d'hôpital, Clémentine a souhaité reprendre le fil de son témoignage. Voici le dernier chapitre de "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine".  

Je n'ai jamais été croyante en tant que tel. Moi, ce qui m'aide énormément, c'est d'être entouré de mes proches. Pour être honnête, je suis née non baptisée parce que ma maman voulait qu'on ait le choix. J'ai fait un peu de catéchisme dans l'enfance, comme tous ceux de ma classe, parce que je voulais le faire par imitation... Même si ça ne s'est pas très bien passé avec les grenouilles de bénitier de l'endroit où j'étais née, qui ne voulait pas que je chante à la messe de Noël parce que je n'étais pas baptisée ! Ça m'a un peu éloignée de Jésus. Je n'ai jamais eu vraiment de croyance parallèle — je ne sais pas si on le dit comme ça —, de croyance, de religion, de foi. Je ne me suis jamais dit que si j'agissais bien, j'allais me retrouver au paradis. Je n'ai jamais pensé comme ça. Ce qui m'apaise, c'est principalement mon rapport aux autres et la présence des autres. La présence de ces incontournables autour de soi. Et c'est ce qui se construit en ce moment autour de moi, ici.

C'est là où j'estime que j'ai beaucoup de chance d'être entourée par mes proches. J'ai mes parents, j'ai mon mari, mes sœurs un peu moins parce qu'elles vivent loin, les pauvres. Mais j'ai au moins mes parents et mon mari qui tous les jours se relaient à mon chevet, dorment avec moi, m'aident à faire ma toilette, à manger... Tout ce que pourrait faire le personnel, finalement, mais ils le font avec moi. Et ça amène autre chose à la fin de vie. C'est vrai qu'on pourrait voir la fin de vie comme quelque chose de terrible, et il y en a des aspects terribles, notamment au niveau de la dignité où par moment, c'est très difficile. Mais on construit aussi des moments qu'on n'aurait jamais construits sans ça. Et de retrouver des petits bouts d'enfance, des petites anecdotes, des petites choses comme ça.... On passe des moments tellement plus intenses, tellement plus vrais, parfois que... Je ne vais pas dire que c'est une chance d'être en fin de vie, je n'irai pas jusque-là ! Mais je suis reconnaissante de pouvoir avoir cette fin de vie là. Ça, c'est sûr.

"La peur de mal mourir"

La peur de la mort, jusqu'ici, j'en ai parlé par vagues. Je me souviens très bien du début de l'année 2023 où, effectivement, on enchaînait un peu les complications, les catastrophes et où j'ai eu l'occasion de lire un certain témoignage de fin de vie qui était très dur. Et je me suis dit : houlà là ! mais moi, je n'ai pas du tout préparé ça ! Ça ne va pas du tout, il faut que je fasse quelque chose parce que ça m'angoisse de me dire que je peux partir dans des conditions si déplorables. Donc là, il y avait une vraie peur, oui. De mal mourir. Pas tellement de mourir, mais de mal mourir.

Aujourd'hui, il y a un peu plus de peur de mourir "pour de vrai". Oui. Alors je m'en ouvre évidemment beaucoup avec ma psychologue, qui est quelqu'un de formidable et qui m'aide toujours à trouver un peu les clés pour savoir à quoi correspond vraiment cette peur, ce qu'on peut y trouver ou pas. Elle est vraiment très aiguillante et très soutenante. Et puis parfois, tout simplement, j'en parle aussi avec mes proches quand ça ne va pas. Comme l'autre soir, alors que j'étais censée me reposer, juste récupérer sur mon lit, et où c'est monté. Et j'avais mon papa en face de moi, assis sur sa chaise, qui attendait que je me repose. Et j'ai su lui dire, juste : papa, j'ai peur. Et il n'a rien fait d'incroyable, il est juste venu près de moi, il a pris ma main et il a dit : "Moi aussi j'ai peur". Ce n'était pas grand-chose, mais sa main, ma main dans la sienne, et juste savoir qu'il était là, qu'il entendait, qu'il comprenait que je puisse avoir peur, que lui aussi partageait ça... C'est peu de chose, mais il y a des fois où juste se libérer de cette émotion, juste la dire, la formuler, rien que ça, c'est salvateur. Et de savoir que les autres sont à côté, qu'ils comprennent ou qu'ils ne comprennent pas, mais en tout cas de lire dans leur regard ou dans leurs gestes qu'ils seront là quoi qu'il arrive, c'est quelque chose qui fait énormément de bien.

Mon papa a peur de sa propre mort, je pense. Il a extrêmement peur de la mienne, mais je sais que le moment venu — en tout cas, c'est un de mes souhaits, je ne sais pas si ça pourra se faire —, normalement, il aura ma main dans la sienne. Tout comme ma mère, tout comme mon conjoint et, je l'espère, mes deux sœurs. Ils seront là. Juste ça, ils seront là. C'est de l'accompagnement. Je ne recherche pas de recette miracle mais juste à ne pas être seule là-dedans, et à être accompagnée du début à la fin, être prise par la main, plus que soutenue par les épaules. Prise par la main.

"Si j'ai pu aider au moins une personne, je suis mille fois heureuse"

La maladie m'a forcément changée. Je ne suis plus la même personne. Je dirais que je suis à la fois plus enjouée, plus reconnaissante des petits moments, ces petits moments dorés dont on parlait, qu'on peut peut-être laisser filer quand on n'est pas malade. Et qu'on n'a pas conscience du caractère ténu de ce fil de la vie. Je pense que j'ai savouré beaucoup plus de choses depuis un an et demi que j'aurais pu en savourer. Et en même temps, il y a toujours eu cette espèce d'ombre qui plane au-dessus et qui m'a enlevée toute mon insouciance. C'est souvent ce que j'ai dit au début. Tout ça m'avait enlevé mon insouciance. Parce que, à 30 piges, on est censé partir en week-end au hasard, en vacances un peu comme on peut et on s'en fout, on se fait plaisir. Et moi, ça m'enlevait tout ça parce qu'il fallait toujours penser tout au prisme de la maladie. Mais je pense aussi que, oui, ça m'a rendu tous ces petits moments, tous ces petits bonheurs beaucoup plus accessibles et, peut-être, beaucoup plus visibles, parce que sinon, ils peuvent passer et on ne s'en rend pas compte.

Je pense aussi que ça m'a rendu une part de joie de vivre parce qu'on a quand même beaucoup rigolé dans toutes ces épreuves, souvent. C'est assez étonnant, mais peut-être aussi une part de joie de vivre. Et puis l'envie de donner, beaucoup, l'envie de donner aux autres et notamment au travers du podcast. Je m'en suis rendue compte par les répercussions qu'il a eu : je pouvais donner énormément de choses aux gens en ayant l'impression d'en faire peu, finalement. Ça, c'est peut-être un petit regret. Ça aurait peut-être pu venir plus tôt. Mais cette envie de donner a été décuplée. Si j'ai pu aider au moins une personne avec ce podcast, moi, je suis mille fois heureuse parce que quand on est malade, on subit beaucoup. Et ça m'a rendu tellement de pouvoir sur tout ça. De prise. De possibilités de faire. D'être dans l'agir, d'être là pour les autres. C'était vraiment, je crois, l'expérience à faire dans cette maladie, l'expérience d'une vie.

Merci pour toutes ces heures d'écoute. Merci pour ça.

Clémentine Lecalot-Vergnaud s'est endormie le 23 décembre 2023 dans sa chambre de l'hôpital Paul-Brousse, à Villejuif. Elle avait 31 ans. Comme elle le souhaitait, elle est partie entourée des siens, notamment de son mari et de ses parents. Et comme elle le souhaitait, c'est dans sa robe de mariée que Clémentine a été enterrée.


Production : Clémentine Lecalot-Vergnaud et Samuel Aslanoff. Réalisation : Laure-Hélène Planchet. Prise de son : Samuel Aslanoff. Mixage : Raphaël Rasson. Visuels : Stéphanie Berlu, Kelsey Suleau. Coordination : Pauline Pennanec’h.

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