Ma vie face au cancer (12/16) : le cœur en chamade

Clémentine est admise en urgence en unité de soins intensifs de cardiologie. Et alors qu'elle voyait le cancer comme une "dégradation lente et progressive" à laquelle elle se préparait, cette fois, elle a l'impression de "prendre le mur dans la tête". Elle doit faire face dans l'urgence à une terrible alternative.
Article rédigé par Clémentine Vergnaud, Samuel Aslanoff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10 min
Ma vie face au cancer, épisode 12 : le cœur en chamade. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Clémentine Lecalot-Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023 après s'être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt. Elle avait 31 ans. Le 1er juin, le podcast auquel elle tenait tant était sorti. Dix premiers épisodes où elle racontait son combat face à la maladie, ses espoirs et ses doutes. Pour, disait-elle, "laisser une trace". Quelques semaines avant sa mort, depuis sa chambre d'hôpital, Clémentine a souhaité reprendre le fil de son témoignage. Voici le deuxième des cinq derniers chapitres de "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine".

Au début, je me disais : ils demandent le Samu parce que c'est le Samu qu'il faut demander et pas une simple ambulance. Mais quand je vois la vitesse... On ne s'arrête pas une seule fois... Je me dis : ouais, il y a vraiment un problème. Et là où vraiment, le seuil est franchi, c'est quand j'arrive à Henri-Mondor en unité de soins intensifs de cardiologie et direct, j'ai dix personnes autour de moi. Là, je me dis qu'il y a vraiment un problème. J'ai l'interne, avec l'échographe en train de refaire une échographie, qui est très silencieuse. Généralement quand les médecins sont silencieux, ce n'est pas très bon. On commence à m'expliquer que je ne vais pas pouvoir me lever du lit. Surtout, jamais. Et puis, l'interne revient me voir et me dit : "Madame, votre cœur a un problème. Il n'arrive pas à se contracter correctement pour faire sortir le sang". Quand il contracte pour évacuer le sang, pour que celui-ci aille dans tous les organes, il en expulse très peu. 60, 65%, c'est à peu près la normale des gens ; moi, je suis à 15. Donc là, c'est hyper effrayant. Elle m'explique qu'elle va devoir poser une "voie centrale", c'est à dire un cathéter qui passe dans le cou, qui va jusqu'au cœur pour bien diffuser les produits. Ça, ce n'est pas rassurant non plus.

Le mardi matin arrivent l'interne et sa référente, qui est une femme adorable. Et elles commencent à me dire : "Bon, madame Vergnaud, ça ne se présente pas très bien, on ne va pas vous le cacher. On a deux hypothèses. Soit il y a vraiment une toxicité cardiaque de la chimiothérapie sur votre cœur et là, globalement, on ne pourra rien faire, parce qu'on est déjà quasiment au maximum des médicaments. Dans ce cas-là, vos organes vont lâcher les uns après les autres et vous allez mourir. Soit, c'est ce qu'on appelle un syndrome de takotsubo, le syndrome du cœur brisé." C'est tout simplement le fait que sur une trop forte charge émotionnelle ou physique, ton cœur se crispe et d'un coup, il n'arrive plus à se contracter correctement. Donc, ça rejoint le côté problème d'expulsion du sang. Elles me disent : "Alors là, c'est tout à fait réversible. Sauf qu'on ne sait pas si vous avez atteint le plus bas. Si vous n'avez pas atteint le plus bas, ça va être compliqué."

Et elles m'expliquent avec beaucoup de douceur que l'équipe de réanimation va passer dans ma chambre pour voir si j'ai déjà pensé à mes directives anticipées, si j'ai des volontés, si... Comment je vois un peu les choses, pour qu'eux aussi, après, prennent une décision entre eux, entre médecins. Et moi, je suis en larmes sur mon lit : évidemment que j'ai déjà pensé à la mort, depuis le début de cette maladie. Mais j'avais toujours vu le cancer comme quelque chose de très lent, d'une dégradation lente et progressive. Et là, j'ai l'impression de prendre le mur dans la tête et de ne pas savoir ce que je dois faire.

"Je n'étais pas un cas cardiaque, j'étais un tout avec le cancer"  

En gros, on me demande si je veux aller en réanimation, auquel cas ça sera avec d'énormes tuyaux dans l'aine, de chaque côté de l'aine, pour pomper mon sang et le faire circuler dans une machine extérieure pour que mon cœur se repose. Ça veut dire être tout le temps allongée, et sans aucune garantie que je m'en sorte, en plus. Ils ne savent pas combien de temps ça va durer. Donc si ça dure deux mois, eh bien ! le cancer, derrière, il a gagné, ça ne sert plus à rien. Et d'avoir cette décision à prendre, ça a été le moment le plus dur de l'hospitalisation. Vraiment. Je n'avais jamais pensé être confrontée à ça, à ce moment-là. C'était extrêmement dur. Et je crois que j'ai assez bien fait comprendre à la réanimatrice que j'étais incapable de choisir, que moi, je n'avais pas toutes les cartes en mains, toutes les connaissances médicales de mon dossier en mains. Elle m'a dit : "Écoutez, on va en discuter avec le staff et puis on en rediscutera avec vous." C'est ce qu'ils ont fait. Ils ont discuté, les réanimateurs, les cardiologues. Et ils ont proposé à mon équipe de Paul-Brousse de se joindre à eux dans la discussion. Et ça, ça a été très important pour moi, parce que je ne voulais pas être vue comme un cas cardiaque uniquement. J'étais un tout avec le cancer et c'est ce qui faisait la difficulté de l'affaire, en fait.

Ils m'ont annoncé que, eh bien... Ils ne m'enverraient pas en réanimation. Que le jeu n'en valait pas la chandelle. Et donc que si je ne récupérais pas, cela allait finalement être le même scénario que la toxicité cardiaque : c'est que j'allais mourir petit à petit. Je comprends tout et je saisis l'horreur de tout. Mon compagnon est là dès le début. Ma maman arrive le jour où ils m'annoncent tout ça. Elle arrive en début d'après-midi à l'hôpital et ils leur parlent aussi, beaucoup. Ils leur parlent de ce qui se passe pour moi, de la décision qu'ils ont prise, de pourquoi ils l'ont prise.

"On était au max du max"  

Mais finalement, il se trouve que mon cœur est reparti. C'est toujours un peu inexplicable, mais le cœur a fini par remonter, tout doucement. Comme un grand. Et peut-être aussi avec beaucoup de dobutamine et de Cordarone, des médicaments pour le cœur, parce que vraiment, on était au max du max.

Il est reparti — je ne sais pas si c'est grâce à ça, mais je veux bien y croire parce que je trouvais la symbolique très belle — au moment où mon compagnon et ma mère reviennent dans ma chambre, qu'ils ont eu toute cette discussion avec les médecins et que les médecins sont venus m'en parler. Et mon conjoint, je vois dans ses yeux qu'il est perdu, il ne sait plus où il est, il est face à cette espèce de tragédie, il sent impuissant. Il s'approche de moi et il me dit : "Mais qu'est-ce que je peux faire pour que ton cœur reparte ? Dis-moi ce que je peux faire." Et la seule réponse qui m'est venue à ce moment-là — et c'est un peu comique parce que ça peut paraître trivial, mais je lui ai dit : épouse-moi. Et il a dit oui.   

On peut se marier à l'hôpital, mais c'est dans des cas très précis. C'est quand il y a une menace pour la vie. Et donc, quelques jours plus tard, dans la chambre d'hôpital de laquelle on avait débarrassé à peu près tous les meubles, y compris le lit, pour que je sois en fauteuil, avec un officier d'état civil, avec son écharpe, et qui a été parfaite dans ses mots parce qu'elle n'en a pas fait trop. Mais les passages soulignant l'aide, l'assistance, les passages du code civil qui sont lus dans tout mariage... Elle a à chaque fois rajouté un petit mot. Elle sentait bien que ça, ce n'était même pas nécessaire de le mentionner.

A suivre : nous nous sommes aimés


Production : Clémentine Lecalot-Vergnaud et Samuel Aslanoff. Réalisation : Laure-Hélène Planchet. Prise de son : Samuel Aslanoff. Mixage : Raphaël Rasson. Visuels : Stéphanie Berlu, Kelsey Suleau. Coordination : Pauline Pennanec’h.

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