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Chantage à la vidéo intime à Saint-Étienne : les révélations de celui qui a piégé le premier adjoint au maire

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C'est lui qui a piégé Gilles Artigues en 2014, alors premier adjoint au maire de Saint-Étienne. Gilles Rossary-Lenglet est sorti de son silence dans une interview accordée à nos confrères de France Inter et diffusée ce jeudi. Il donne sa version des faits sur cette affaire de chantage à la sextape.

Gilles Rossary-Lenglet photographié chez lui, à Saint-Étienne, le 6 septembre 2022. Gilles Rossary-Lenglet photographié chez lui, à Saint-Étienne, le 6 septembre 2022.
Gilles Rossary-Lenglet photographié chez lui, à Saint-Étienne, le 6 septembre 2022. © Radio France - Mathilde Montagnon

Gilles Rossary-Lenglet enfonce le clou. Dans une longue interview, accordée à nos confrères de France Inter, cet ancien proche de la mairie de Saint-Étienne revient sur le guet-apens qu'il dit avoir tendu en 2014 à Gilles Artigues, alors premier adjoint au maire de la ville. Avec l'aide de son compagnon de l'époque Samy Kefi-Jérôme (aujourd'hui adjoint à l'éducation), l'intéressé explique avoir filmé Gilles Artigues avec un escort boy pour le faire chanter et "tenir" politiquement cet allié centriste encombrant.

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Le parquet de Lyon a ouvert la semaine dernière une information judiciaire pour "atteinte à l'intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d'une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions". Dans cette interview, Gilles Rossary-Lenglet désigne clairement deux commanditaires dans cette opération. Entretien.

Dans l'entretien ci-dessous, différents protagonistes sont évoqués, nous vous rappelons qui est qui :

  • Gilles Rossary-Lenglet (la personne interviewée) : c'est lui qui a révélé l'affaire et lui qui a coorganisé le guet-apens dont a été victime Gilles Artigues dans un hôtel parisien. Il affirme que le maire et son entourage lui ont commandé ce piège. Il était en couple avec Samy Kéfi-Jérôme au moment des faits.
  • Gaël Perdriau : le maire (LR) de Saint-Étienne, il est accusé d'avoir commandité un moyen de museler politiquement son premier adjoint de l'époque, Gilles Artigues (UDI).
  • Pierre Gauttieri : directeur de cabinet à la mairie de Saint-Étienne, il est lui aussi accusé d'avoir tendu un piège à Gilles Artigues afin de faire pression sur ce dernier.
  • Samy Kéfi-Jérôme : actuel adjoint au maire de Saint-Étienne à l'Éducation, c'est l'autre co-organisateur du piège. Il apparait sur la vidéo en question. Il était le compagnon de Gilles Rossary-Lenglet en 2014.
  • Gilles Artigues : ancien premier adjoint (UDI) au maire de Saint-Étienne à l'époque des faits, en 2014. Il est aujourd'hui troisième adjoint au maire et vice-président de Saint-Étienne Métropole. C'est lui la victime. Il a été filmé avec un escort boy et a subi un chantage à la vidéo érotique pendant huit ans.

Entretien avec Gilles Rossary-Lenglet

Gilles Rossary-Lenglet, vous avez assuré, dans plusieurs articles publiés depuis une dizaine de jours par Médiapart, avoir participé à un complot pour piéger Gilles Artigues, alors premier adjoint au maire de Saint-Étienne. Comment est née l'idée de ce piège ?

L'idée primale, on va dire, elle n'est pas née dans mon esprit. L'idée primale est née dans l'esprit de Gaël Perdriau et de Pierre Gauttieri, son directeur de cabinet. Après l'élection [municipale de 2014 NDLR] qui avait été compliquée parce que c'était une alliance, on ne s'était pas regroupés par affinités, mais pour gagner. Et il y avait eu de fortes tensions déjà en pré-campagne entre Gilles Artigues et Gaël Perdriau.

Et donc, après les élections, quand tout retombe un petit peu, un mois, un mois et demi après, dans une réunion entre Gaël Perdriau, Pierre Gauttieri et Samy Kéfi-Jérôme, les idées fusaient sur "comment fracasser Gilles Artigues", comment le tenir, c'est-à-dire soit le tuer politiquement, soit le contrôler. Des idées, des idées fumeuses se sont montées. Ils ont essayé de construire de grands trucs et tout et tout qui ne pouvaient pas fonctionner. Alors Samy Kéfi-Jérôme a dit : "Mais vous savez, Gilles, il sait faire et il l'a déjà fait. Il sait faire ce genre d'actions". J’ai été convoqué à la mairie une ou deux heures après. J'ai vu Pierre Gauttieri pour gérer les questions d’argent etc. tout ce qui n'intéressait pas Gaël. Et puis après, quand on tombé d'accord, on a vu Gaël et on en a parlé. Alors ils étaient un peu frustrés parce qu'ils voulaient quelque chose, genre qui arrive demain. Moi je leur ai dit : "non, ça ne marche pas comme ça. Il me faudra plusieurs mois". Quant à la question d'un barbouzage sur les questions privées et intimes, c’est moi qui l'ai proposé parce que c'était ce qu'il y avait de plus simple et qui marcherait le mieux.

"Les idées fusaient sur "comment fracasser Gilles Artigues", comment le tenir, c'est-à-dire soit le tuer politiquement, soit le contrôler"

C'est vous qui avez proposé le scénario ?

Oui, bien sûr, alors ce n'était pas écrit avec des didascalies etc. mais je leur ai dit que ça allait être sur sa sexualité. Mais c'était tout à fait normal. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, Samy Kéfi-Jérôme était rentré au MoDem, était très vite monté, était un proche de Gilles Artigues, le voyait tous les jours, etc. Moi, je le voyais de temps en temps aussi. Il était évident (excusez-moi pour le terme) que Gilles Artigues était ce qu'on appelle « une honteuse », c'est-à-dire quelqu'un qui ne s'assumait pas, qui avait des désirs homosexuels très forts, mais qui avait, en dehors, une vie de petit père tranquille. Donc il était évident que nous allions aller sur ce terrain-là parce qu’il vaut mieux aller au plus simple plutôt qu’essayer de chercher les choses très compliquées.

La deuxième raison est une raison sur ce qu’est profondément la politique. La politique, c’est un rapport de force. Gilles Artigues a construit son rapport de force sur la communauté catholique. Pas la plus ouverte. Quand il était député, il a posé des questions au gouvernement à l'Assemblée, faisant finalement avancer l'homophobie. Il a été très proche aussi de la Manif pour tous. C'est quelqu'un qui s'est construit avec cette communauté-là. Il va de soi que si vous dites du mal sur les homos et que l'on vous voit avec un escort gay en train de batifoler, vous tenez une mise à mort politique sur la personne.

Quel est le scénario et qu'avez-vous fait pour piéger Gilles Artigues très concrètement ?

Il était évident que jamais Gilles Artigues n'aurait eu une aventure homosexuelle avec un inconnu à Saint-Étienne. Il est quand même prudent par rapport à cela. Donc il fallait qu'il y ait un déplacement avec, au minimum, une nuit en extérieur de la ville. Moi, je préférais Paris parce qu'en tant qu’ancien Parisien, j'avais les réseaux nécessaires. Le temps que j’avais annoncé à Gaël Perdriau et à Pierre Gauttieri, ce temps qui ne leur plaisait pas, c’était le temps nécessaire pour avoir cette fenêtre de tir. La fenêtre de tir s'ouvre. Je contacte un escort, je lui mens puisque je lui dis que nous avons un ami provincial qui ne s’assume pas, son anniversaire est bientôt etc. Samy Kéfi-Jérôme donne l'adresse de l'hôtel, donne l'argent (300 euros) et voilà.

Vous aviez préalablement acheté puis installé une caméra dans cette chambre *** ?***

Non, je ne l'ai pas achetée, je voulais l'acheter mais l'accélération [du calendrier NDLR] m'a extrêmement déplu. En vérité, c'est une femme qui travaillait au cabinet du maire qui a prêté la caméra qui était soit à elle, soit à son frère. La caméra a ensuite été cachée par un bristol. C'est moi qui ai dit à Samy Kéfi-Jérôme de le faire afin qu’on ne voit pas le voyant rouge. Il l'a posée à côté de la télévision. Et voilà, c'est aussi simple que ça.

"Je le redis bien : ce barbouzage [...], c'est une commande ! Une commande de Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri"

Vous avez évoqué le prix de la prestation de cet escort-boy. Combien a coûté cette opération et comment a-t-elle été financée ?

Dès la première réunion, j'ai annoncé le prix de 50.000 euros à Pierre Gauttieri et à Gaël Perdriau. Je le redis bien : ce n’est pas Samy Kéfi-Jérôme et moi-même qui avons décidé de notre propre chef de faire ce barbouzage pour, après, le vendre. C'est une commande. C'est une commande de Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri. Quand j'ai annoncé le prix, il n'a pas été discuté une seconde. Mais je tiens à préciser que moi, j'ai donné un tarif. Je n'ai en aucun cas dit comment faire le montage. C'est eux qui ont décidé après de donner des subventions à des associations. On m’a demandé, quelques semaines ou quelques mois après, "T'aurais pas des assos à nous proposer ?" J’en ai parlé de certaines, Samy en a parlé d’autres. Ils ont fait le choix sur ces deux assos.

Comment a fonctionné cette rétribution ? Qu'avez-vous fait pour ces deux associations ? L’AGAP, l’Association des artistes de la Galerie Art Pluriel, et l’association France-Lettonie-Loire-Auvergne ?

Je n’ai passé aucun contrat, j'étais un prestataire. J’ai donné tous les documents à la police judiciaire quand ils sont venus me perquisitionner. J’ai fait des factures. Alors bien sûr, ils ne donnaient pas la somme d'un coup, ça aurait été trop gros. Donc il y avait des fois des reversements de 2.000, de 2.500 euros. Il y a eu aussi une partie en nature comme une sculpture de Philippe Buil que j'aimais beaucoup. Pour l’association France-Lettonie-Loire-Auvergne, une fois, il y avait une manifestation place de l’Hôtel de Ville avec des représentants de pays etc. Et j'avais fait deux tartes aux pommes façon recettes du pays. Si ça vaut 2.500 euros, je pense que ça va ouvrir des vocations en pâtisserie. Je faisais des factures où on mettait un gloubiboulga d’activités et en échange, on me reversait l'argent. Et je tiens à préciser que Samy Kéfi-Jérôme a touché plus de 50% voire 60 % de ce que j'ai pu toucher.

J’avais demandé 50.000 euros. Il y a eu une partie en nature et une partie en argent sonnant et trébuchant, à peu près 40.000 euros, que les deux associations ont donné à 50/50. Et j'ai touché les sommes sur un an et demi.

Vous dites avoir touché 20.000 euros de chaque association. L'Association Agap s'est vu octroyer une subvention de 20.000 euros justement qui a été votée en conseil municipal en juillet 2015. On note que les associations, habituellement, déposent leur dossier de demande dès l'automne de l'année précédant le vote. L'Association de Philippe Buil a été créée au printemps 2015. Cette demande de subvention arrive en juin. Le vote a lieu en juillet. Qui a rempli ce dossier de demande de subvention ?

La demande de subvention a été faite à quatre mains. Je crois que c'est Samy Kéfi-Jérôme et le bureau du maire. Je dis "je crois" parce qu'il y avait des allers-retours. Des fois, on leur amenait directement, ou on ne préremplissait que ce qui était compliqué et, eux, n’avait qu’à mettre le nom etc. De toute façon, c’était vérifié. Marc Chassaubéné [adjoint au maire à la culture NDLR] n'a pas eu son mot à dire. C'est le cabinet qui, explicitement, a appuyé pour faire voter ces questions-là.

Le dossier de demande de subvention de l’association de la galerie Art pluriel indique que l'association souhaitait lancer l'organisation d'une FIAC, une Foire Internationale d'Art Contemporain à Saint-Étienne et que, pour ce faire, l'association aura recours aux services d'un prestataire. Avez-vous travaillé en tant que prestataire pour tenter d'organiser une FIAC à Saint-Étienne ? L'entourage du maire nous assure qu'il y a des traces de votre travail pour cette association. Est-ce que c'est le cas ?

Je dois rigoler à quel moment ? Bah non, c’est totalement faux. C'est une galerie qui était une petite galerie, qui a eu la chance de trouver un grand local qui s'agrandissait etc. Ils n’avaient ni le potentiel ni le réseau. Et moi je n’avais pas le réseau pour créer cela. Mais bien sûr que non, c'est totalement faux. Alors qu'après, il y a eu des envies de passerelles. Moi, je me souviens d'une rencontre avec M. Chassaubéné sur la possibilité de développer d'autres lieux qui ne soient pas des lieux institutionnalisés au niveau des galeries, avec tout ce que l'on peut savoir. Oui, ça d'accord. M'enfin, soyons sérieux. Une Fiac ? Non !

Pourquoi parlez-vous aujourd'hui ? L'entourage du maire avance le fait que vous souhaitiez surtout vous venger de votre ancien compagnon. Que vous n'avez pas obtenu ce que vous souhaitiez auprès de la mairie en matière d'emploi et de rémunération. Pourquoi décidez-vous de tout confier à la presse aujourd'hui ?

Je vais vous répondre avec une question : même si tout ce que dit la mairie est vrai sur le pourquoi, est-ce que cela change les faits ? Ils restent délictueux. Ils ont quand même payé un barbouzage. Cela reste avec des subventions détournées. Il faut faire très attention à ce genre d'écran de fumée très commun en politique. Ce n'est qu'un écran de fumée.

Quant aux faits, il se trouve que j'ai attrapé le virus [du Covid NDLR] en tout début de la pandémie. J'ai beaucoup de problèmes de santé maintenant. Pendant cette pandémie, il y a eu des pans complets de l'économie qui ont sombré dans le chaos. Je devais avoir un job qui a été annulé. Étant en plus malade, je ne pouvais pas revenir sur le marché du travail de manière optimale. J’ai demandé à Samy Kéfi-Jérôme s'il y avait un job qui pourrait me correspondre. Je ne parle pas d'un faux job, je tiens à le dire. Je demandais un vrai travail. En vérité, on a utilisé ma situation (je suis au RSA quand même) et mon état de santé (je suis aussi soigné pour dépression) pour essayer de me pousser au suicide.

Je ne me suis pas laissé faire. J'ai eu un échange au mois d'avril avec le maire en disant : "Écoute, maintenant vous allez arrêter, vous savez dans quel état je suis, moi je m'en fous, je vais tout lâcher". Il se trouve que j'avais déjà contacté Mediapart. Mais là, Gaël Perdriau a eu peur et il a demandé à Pierre Gauttieri de me voir et de me proposer un job pour que je me taise. Ça s’appelle, je crois, de la corruption active. Mais moi, déjà, j'avais tourné la page, parce qu'il faut qu'à un moment donné, ces choses sortent. Je ne suis plus le même, je ne suis plus le même qu'il y a deux ans, je ne suis plus le même qu’en 2014. Effectivement, je sais que c'est un suicide social. Les dégâts dans votre vie sont catastrophiques. Moi, j'ai tout perdu, je n'avais déjà plus rien. Mais si vous saviez ce que je vis depuis deux semaines...

"On est venu tambouriner à ma porte, j'ai eu des menaces. Je m'y attendais. Pour moi, c'est plus de l'intimidation qu'autre chose"

Avez-vous peur de représailles ?

Les représailles, elles sont de mille et une manières. Par exemple, la psychiatre qui me suivait m'a sorti que, pour des questions morales, je ne suis plus son patient. J'ai des associations qui ne veulent plus de moi. J'ai eu peur entre le moment où Mediapart les a appelés pour les questionner et le moment de la sortie de l’article. Alors là, je peux vous dire : on est venu tambouriner à ma porte, j'ai eu des menaces. Je m'y attendais. Pour moi, c'est plus de l'intimidation qu'autre chose. Mais après, vous savez, le regard dans la rue, j'ai eu des insultes, j'ai eu des crachats... Mais j'ai vu aussi des gens qui me font des grands sourires, qui me disent merci. Juste, j'ai envie de garder que cela et d'oublier les comportements que d'autres peuvent avoir.

Vous considérez-vous comme un lanceur d'alerte ?

Je pense que c'est une bonne définition. Mais je ne suis pas en train de jouer les chevaliers blancs. Je sais que ce que j'ai fait est mal.

Vous savez aussi ce que vous risquez devant la justice ?

Bien sûr. Et je n'ai pas pris d'avocat.

Vous êtes prêt à aller en prison ?

Écoutez, je suis au RSA. Alors demander à la collectivité (parce que je pourrais avoir l’aide juridictionnelle) de me payer mon avocat, à Monsieur et madame Tout le monde, je trouve que c'est un peu exagéré. Et puis, si je prends un avocat, il va me dire ce qu'il faut faire pour ne pas que j'ai des problèmes, mais pas pour que ça aille jusqu'au bout. Voilà. J’ose. J'ai lancé.

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