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Partie de Cluedo dans la villégiature présidentielle

Avec «Intrigue à Brégançon», le sixième volume des aventures de l'intrépide Pénélope, Adrien Goetz nous fait découvrir l'envers du célèbre fort où nos présidents de la Ve République aiment à se prélasser en short. Mais sous le soleil du Var, un meurtrier rôde…

Adrien Goetz fait peser un mystère plus sombre que celui du fantasme du pouvoir, dans un lieu mythique.
Adrien Goetz fait peser un mystère plus sombre que celui du fantasme du pouvoir, dans un lieu mythique. (© Editions Grasset)
Publié le 3 mai 2023 à 11:30

Les Français aiment les vacances, et leurs présidents de la République aussi. Ainsi s'expliquerait le succès médiatique du fameux fort de Brégançon, cette villégiature présidentielle située entre Toulon et Saint-Tropez qu'investit le général de Gaulle : depuis plus de cinquante ans, ses images sous le soleil nous montreraient-elles comment le premier personnage de l'Etat tombe le masque, l'été venu ?

Georges et Claude Pompidou, été 1969 en espadrilles, entourés d'amis ; Valéry Giscard d'Estaing entré seul dans l'eau en élégant costume de bain ; Jacques Chirac vêtu d'un polo Lacoste, en bande sur le ponton d'accostage ; Emmanuel Macron tous muscles dehors en jet-ski, à la conquête des vagues… elles sont nombreuses, les photos de cette mythologie si française. Adrien Goetz, historien de l'art, maître de conférence à la Sorbonne et membre de l'Académie des beaux-arts, s'en est emparé pour son nouvel opus amusé des aventures de l'intrépide et cultivée Pénélope. Si Brégançon m'était conté.

Son roman est d'abord une promenade sur cette côte bénie des dieux et immortalisée par Françoise Sagan. Nous la découvrons traversée par notre roman national, de la visite de Charles IX et Catherine de Médicis au débarquement en Provence, en passant par la galerie d'art que Jean Moulin possédait non loin, avant son arrestation, ou les vingt-trois canons de Bonaparte. La bâtisse elle-même mérite un détour. «Brégançon a un côté château de Kafka, Radschin qui domine Prague, mais en version claire, Montségur Côte d'Azur, sans les bûchers, mini-Carcassonne retapé en style rural, forteresse du rivage des Syrtes, dernier bastion de l'Atlantide.» «La Principauté de la République», ajoute l'ironique auteur.

Pénélope, l'héroïne récurrente de cette série «Intrigue à», a déjà enquêté sur le château de Versailles, la tapisserie de Bayeux, et même Néfertiti et Bonaparte, et ce fut à chaque fois par le hasard des circonstances. Nous retrouvons la jeune femme très occupée. Désormais bras droit du directeur du Mobilier national, elle doit passer la nuit au fort de Brégançon : il s'agit d'installer le nouveau décor choisi par le nouveau président (jamais nommé !). Les fauteuils pompidoliens de Pierre Paulin reviennent en fanfare après les années Gustavia ou les motifs à pommes de pin de nos premières dames. Fauteuil «Tongue», grand «Mushroom», «Ruban»…, Adrien Goetz s'en donne à coeur joie sur ce grand mouvement de métronome des goûts et des couleurs présidentiels.

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Portrait d'Adrien Goetz

Portrait d'Adrien Goetz© DR

Mais pour Pénélope, flanquée de Wandrille, son petit ami bon chic bon genre un peu falot convoqué pour la nuit, la vie pieds dans l'eau n'est pas un long fleuve tranquille. Après le baleineau échoué sur la plage, c'est la conférencière des visites du fort qui est retrouvée poignardée. L'arme du crime ? Un coupe-papier offert à François Mitterrand par le chancelier Helmut Kohl. Le fort est bouclé. Place au huis clos face aux Îles d'Or.

Une partie de Cluedo commence pour Pénélope et Wandrille. Tous les personnages qui passent dans le récit peuvent être soupçonnés : le paparazzi dépressif aux photos jamais publiées, le tandem bizarre venu pour écrire un coffee table book sur le fort, les gardiens qui se sentent chez eux, le préfet un peu ridicule qui se croit en permanence face à l'Histoire… Pas question de vous spoiler le mobile du crime, encore moins le nom du coupable. Mais comme toujours chez Adrien Goetz, les intrépides Pénélope et Wandrille les trouveront grâce à l'histoire tragique du lieu… et sans jamais perdre leur humour.

«Intrigue à Brégançon», d'Adrien Goetz (éd. Grasset, 230 pages).

Judith Housez

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