Témoignage. Émeutes en Nouvelle-Calédonie : "il faut une médiation des Nations-Unies, ce n'est pas un département français", déclare François Roux

Publié le Écrit par Fabrice Dubault

Depuis lundi, des violences, les plus graves survenues en Nouvelle-Calédonie depuis la fin des années 1980, ont fait cinq morts, dont deux gendarmes, et des centaines de blessés. L'état d'urgence a même été déclaré. C'est une révision du mode de scrutin pour les élections provinciales qui a rallumé les braises de la contestation. François Roux, avocat honoraire du FLNKS réagit et explique la vision kanak du conflit avec l'Etat français.

Il a été le défenseur de José Bové, des Faucheurs volontaires, Dieudonné, Zakarias Moussaoui, l'ancien Khmer Rouge Douch et organisé le procès symbolique du loup. L'avocat international montpelliérain François Roux, connu pour avoir défendu des personnages célèbres et controversés, est aussi avocat honoraire du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS).

Dès 1981, il conseille et défend les nationalistes calédoniens. Puis en 1984, il devient l'avocat du FLNKS et celui de Jean-Marie Tjibaou, son ami, créateur du rassemblement et premier dirigeant historique. Il fut assassiné le 4 mai 1989, lors de la commémoration du premier anniversaire du drame de la grotte d'Ouvéa qui a fait 21 morts, 19 militants indépendantistes et deux militaires.

François Roux, âgé de 73 ans, qui réside désormais en Lozère a répondu à nos questions.

France 3 Occitanie : comment appréhendez-vous les violences et les émeutes des derniers jours en Nouvelle-Calédonie ?

François Roux : "C'est la chronique d'un désastre annoncé... On le sentait venir avec les manifestations contre le dégel du corps électoral (*voir en fin d'article). Le dernier référendum sur l'autodétermination en décembre 2021, le 3e depuis 2018, a été rejeté par les Kanaks. Le "non" l'a emporté à 96,5% car les peuples locaux de l'archipel, qui sont désormais minoritaires dans la population, ne sont pas allés voter, à peine 44% de participation. Donc, ils n'ont pas reconnu ce 3e référendum... De fait, ils ont vécu comme un diktat, les volontés et "maladresses" du gouvernement jusqu'au vote du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral adopté dans la nuit de mardi à mercredi à l'Assemblée nationale (Ndlr : 351 "pour", 153 "contre", 3 abstentions). Pour les Kanaks, c'est la sidération qui prévaut. Avec cette évolution constitutionnelle, ils ne seraient plus maîtres chez eux".

Vous dites "ce n'est pas une affaire franco-française", pourtant, la Nouvelle-Calédonie, c'est la France ?

François Roux : "C'est une collectivité autonome, un territoire d'outre-mer qui permet à la France d'être la deuxième puissance maritime mondiale. Ce n'est pas un département français. Pour preuve, la Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des territoires non autonomes selon l'Organisation des Nations unies. En clair, c'est une colonie française, donc considérée comme non décolonisée, depuis 1947. Ce sont alors les règles du droit international qui s'appliquent. Il faut pour avancer une médiation des Nations-Unies".

Vous parlez de "sidération du peuple kanak" et des actes "maladroits" du gouvernement, qu'est-ce que cela signifie ?

François Roux : "Comme dans les années 70, des membres du gouvernement ou leurs représentants ont traité les nationalistes de voyous, de mafieux, de terroristes. C'est la CCAT, la Cellule de coordination des actions de terrain, qui est visée mais aussi la minorité kanak. Les dernières manifestations à Nouméa ont mobilisé des milliers de personnes pour une manifestation dans le calme. Ils veulent juste que leur droit de peuple ancestral soit reconnu. C'est l'Histoire qui est en jeu. Le dégel des listes électorales, c'est faire de la Calédonie, une colonie de peuplement, avec une économie de comptoir où le business est fait par des occupants. Tout ce que dénonce le peuple calédonien".

Comment apaiser les choses, renouer le dialogue ?

François Roux : "Il faut revenir sur le dégel qui braque la population. De toute façon, les accords de Nouméa, signés en 1998 par Lionel Jospin et issus des accords de Matignon 10 ans plus tôt, sont clairs sur le transfert des compétences de la France à la Nouvelle-Calédonie. Ils sont irréversibles, sauf à effectuer une révision constitutionnelle. Les Kanaks ne veulent pas mettre les autres habitants de la Calédonie à l'eau. D'ailleurs leur devise et celle du drapeau est "deux couleurs, un seul peuple". Ils veulent juste pouvoir décider pour eux-mêmes, sur leur territoire et comme ces Mélanésiens sont de moins en moins nombreux, 40% de la population à peine, ils voient ce dégel comme une nouvelle agression coloniale".

Le dégel du corps électoral

Le projet de loi, examiné par l'Assemblée nationale depuis lundi 13 mai, est à l'origine du regain de tensions inédit depuis les années 1980 en Nouvelle-Calédonie. Il prévoit d'élargir le corps électoral des élections provinciales, en l'ouvrant aux natifs et aux citoyens qui vivent sur l'archipel depuis au moins dix ans. Le corps électoral est en effet "gelé" depuis l'accord de Nouméa de 1998.

Selon le gouvernement, ce gel priverait aujourd'hui de vote 42 596 personnes lors de l'élection des membres des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie, ce qui correspond à 1/5e des électeurs inscrits sur les listes électorales générales.

"Aujourd'hui, des personnes nées en Nouvelle-Calédonie, ou qui y résident depuis de très nombreuses années, qui y ont leur vie personnelle et leurs activités professionnelles, qui y paient des impôts, sont privées du droit de vote", a expliqué lors de la séance des Questions au gouvernement, Gabriel Attal.

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