[L'instant tech] Au coeur de la H2 Factory, le laboratoire d’Engie pour faire de l’hydrogène vert une réalité industrielle
Engie a de grandes ambitions dans la production et la gestion de l’hydrogène vert. Pour accompagner ce marché naissant vers l’échelle industrielle, l'énergéticien spécialiste du gaz a monté à Stains, au nord de Paris, un laboratoire de R&D dédié à la gestion de l'hydrogène, la H2 Factory.
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Engie en est convaincu. Le gaz, un vecteur «stockable, transportable et à forte densité énergétique», aura sa place dans la transition énergétique, mais il devra être vert, c'est-à-dire décarboné. Face à cet impératif, l’hydrogène produit par électrolyse devrait figurer en bonne place, juge l’énergéticien, qui prévoit de produire 4GW de cette petite molécule (à partir de 6 GW de renouvelables) d’ici à 2030. Une ambition industrielle forte. Dans ce cadre, Engie a inauguré début novembre un nouveau laboratoire de R&D, baptisé «H2 Factory» au sein du Crigen, son plus gros bâtiment de recherche installé à Stains, en Seine-Saint-Denis.
«Nous sommes potentiellement acteurs et présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène, a expliqué la directrice générale d’Engie, Catherine McGregor, en introduction. Notre expertise gazière combinée à notre compétence d’électricien nous rend très légitimes.» De grandes ambitions, pour lesquelles Engie cherche désormais à s’assurer de la fiabilité et du passage à l’échelle des infrastructures servant à produire et gérer la petite molécule afin de dérisquer ses projets, et de participer à faire de l’hydrogène vert, encore émergent, une réalité industrielle.
Suivre les profils de production des renouvelables
L’énergéticien imagine produire de l’hydrogène à travers des projets intégrés, couplant ses parcs d’énergies renouvelables (photovoltaïque et éolien) à des électrolyseurs capables d’en mobiliser l’électricité pour produire de l’hydrogène à partir d’eau. Pour lui, l’enjeu est d’abord la production. Engie ne fabrique pas ses propres électrolyseurs, mais dispose d’une multitude de bancs de test pour identifier les meilleures solutions et les optimiser à partir de trois critères : le rendement, le coût et la fiabilité.
Ce qui suppose aussi de développer de nouveaux outils alors que, «en moyenne, un électrolyseur qui fonctionne 90% du temps produit de l’hydrogène bien moins cher que s’il ne fonctionnait qu’à 50%», chiffre Pierre Olivier, chargé de projets hydrogène chez Engie.
Pour augmenter le temps de production de ses électrolyseurs, et passer d’un prix de l’hydrogène vert proche des 6 euros à 4,5 euros par kilo (contre près de 3 euros pour l’hydrogène gris produit à partir de gaz naturel aujourd’hui), les ingénieurs de la H2 Factory les observent sous toutes les coutures et développent des briques logicielles, baptisées systèmes de gestion de l’énergie (ou EMS) et dédiées à palier au mieux l’intermittence des renouvelables avec le réseau électrique pour s’approvisionner en électrons.
Hydrogène à haute température
Autre enjeu: rester performant même dans les cas où la production est intermittente. N'utiliser que des électrons «verts» force à ne pas faire fonctionner les électrolyseurs à plein temps, mais à ne produire de l'hydrogène que quand le vent souffle ou que le soleil brille. Une utilisation variable dont Engie étudie les impacts en termes de performance et de durée de vie via une batterie de tests, selon les courbes de production types de chaque source d'électricité renouvelable. Ce travail doit prendre en compte la variété des technologies existantes puisque les électrolyseurs alcalins (les plus répandus) doivent chauffer pour être efficaces et pourraient être un peu moins adaptés à des utilisations rapides que les électrolyseurs dit PEM (pour proton-exchange membrane). «Intrinsèquement, les électrolyseurs PEM sont plus adaptés pour être couplés aux renouvelables. Mais plusieurs tests ont montré que l’alcalin a suffisamment de modularité pour s’y adapter», modère toutefois Pierre Olivier.
Engie étudie aussi différentes solutions d'électrolyse à haute température, comme celle que développe la société Genvia pour l’industrialiser à Béziers, dans l’Hérault. En fonctionnant entre 600 et 750°C (contre 60 à 80°C pour les électrolyseurs classiques) et en se branchant pour cela sur des sources électriques, ces derniers peuvent gagner jusqu’à 20 points de rendement électrique par rapport à des solutions classiques, chiffre l’énergéticien, qui prévoit un premier projet d’échelle industrielle, baptisé Multiplhy, dans la bioraffinerie de Neste à Rotterdam.
Améliorer le stockage et l’utilisation
Mais Engie ne se concentre pas que sur la production et peaufine dès à présent les différentes briques, de stockage, distribution ou certification, qui seront nécessaires pour donner des débouchés à l’hydrogène. Ainsi, l’H2 Factory dispose d’une multitude de bancs d’essais, par exemple pour permettre d’échantillonner l’hydrogène en sortie de production et de s’assurer de sa qualité. Une brique indispensable pour garantir le bon fonctionnement des piles à combustible, qui peuvent transformer le dihydrogène en électricité, mais nécessitent pour cela un gaz très pur, autour de 99,97%. D’où le développement de multiples outils de métrologie, qui sont par exemple testés dans le cadre du projet Rhyno, mené dans une mine de platine d’Anglo American en Afrique du Sud, où un camion minier utilise désormais de l’hydrogène produit sur place, et vérifié sur le champ.
Pour s’assurer que la petite molécule, qui a la fâcheuse tendance de s’enflammer rapidement, ne sera pas dangereuse, la H2 Factory doit aussi développer des paramètres d’utilisation. Que ce soit en modélisant le comportement thermodynamique de l’hydrogène lors du remplissage d'un réservoir d'hydrogène comprimé à 350 bars (afin d’obtenir le meilleur compromis entre rapidité et montée en température) via des données récupérées d'un banc d'essai dédié, en développant la maintenance prédictive des équipements de distribution, ou en étudiant les méthodes de maîtrise des phénomènes dangereux dans les stations de remplissage. Le groupe, qui en opère déjà 18, prévoit d’en installer 100 en France d’ici à 2030. Et participe aussi à des projets d’étude pour caractériser les méthodes de stockage de l’hydrogène, dans des réservoirs ou des cavités salines.
Filtrer l’hydrogène des réseaux
Le groupe s’attaque aussi à l’épineux problème du transport de l’hydrogène, malgré les réticences de la petite molécule à être comprimée, liquéfiée ou même confinée. Pour éviter tout problème, Engie prévoit de produire une partie de l’hydrogène à proximité des sites où il sera utilisé, mais aussi de le transformer en autres molécules, comme de l'ammoniac, du méthanol ou du GNL de synthèse, pour le déplacer plus facilement (voir encadré).
Cette stratégie, connue sous le nom de power-to-X, permet de «transformer l’électricité renouvelable en molécules utiles pour l’industrie chimique, la mobilité ou le chauffage, et d’utiliser les infrastructures existantes», explique Alvaro Ramirez Santos, ingénieur de recherche au lab hydrogène d’Engie. L’énergéticien – qui développe sa propre technologie de conversion de l’hydrogène en gaz naturel (via un lit catalytique fluidisé) dans le cadre du projet Gaya, mais ne prévoit pas d’opérer de telles installations lui-même – a, là encore, l’échelle industrielle en tête, et se concentre sur la maîtrise opérationnelle, l’analyse du cycle de vie et la sécurité à l’échelle industrielle des installations de power-to-X.
Pour se préparer à la montée en puissance de l’hydrogène, Engie prévoit enfin… ses effets néfastes. Aujourd’hui, les réseaux de gaz peuvent déjà transporter jusqu’à 2% d’hydrogène en volume. Une proportion réglementaire que l’énergéticien souhaiterait voir monter à 10 ou 20% d’ici à 2030 (ce qui ne représenterait que 6 à 7% en matière d’énergie, car l'hydrogène est moins dense en volume que le gaz naturel), mais pour laquelle il doit anticiper. «Les infrastructures gazières existantes tolèrent ces proportions, mais pas tous les industriels, qui ont parfois besoin de gaz d’une très grande pureté pour leurs process», explique Pierre Olivier. En 2019, Engie a donc investi dans une start-up basque, H2Site, qui développe un réacteur à membrane capable de filtrer l’hydrogène du gaz, ou de transformer ce dernier en molécules d’intérêt s’il est associé à un catalyseur de rhodium. Une solution dans laquelle Breakthrough Energy Ventures, le fonds d’investissement de Bill Gates dans les technologies vertes, a ensuite investi à l’été 2022, se félicite l’énergéticien français. Preuve que le passage à l’échelle de l’hydrogène vert engendre, au-delà des défis technologiques, des opportunités économiques.
Comment transporter l’hydrogène ?
Faut-il produire l’hydrogène là où sera utilisé, comme préfère la France, ou l’importer de grandes zones de production, comme le planifie l’Allemagne? «La réalité sera entre les deux, affirme la directrice générale adjointe d’Engie en charge de la stratégie, Claire Waysand. Dans la vraie vie, l'hydrogène renouvelable en Europe sera en partie produit localement et en partie importé.» Sur les 4 GW de capacités de production prévues par Engie en 2030, seul un quart devrait être produit sur le Vieux continent, tandis que les autres proviendront de zones où les énergies renouvelables sont peu chères et abondantes. Par exemple du Moyen-Orient, du Chili, de l’Australie ou encore du nord du Brésil, «où l’éolien terrestre a un taux de charge de 90%».
Mais se pose la question du transport de la molécule, corrosive, peu dense en volume et qui ne se liquéfie qu’à 20°C au-dessus du zéro absolu. Si la voie du transport direct n’est pas écartée, Engie privilégie le transport d’hydrogène transformé en ammoniac ou en méthanol (voire sous forme d’acier), pointe le directeur général adjoint en charge des activités thermiques, Sébastien Arbola. Le groupe participe à de nombreux projets de production de carburants synthétiques, comme Reuze (avec ArcelorMittal et Infinium) à Dunkerque. En Europe, il caresse l’idée d’un backbone dédié à l’hydrogène, et prévoit de construire 700 kilomètres de pipelines d’ici à 2030, la plupart en rétrofit de conduits existants en y intégrant des couches polymères étanches. Une option «trois à quatre fois moins chère que la création de nouvelles infrastructures», estime le chef du Lab Hydrogène, Pierre Olivier. Mais qui doit encore faire ses preuves dans le temps.
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