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Andy Dean - Fotolia

Oracle accusé d'avoir menti sur ses résultats cloud

Ventes forcées, menaces d'audit, rabais sur les contrats de support. Un fonds de pension, un commercial d'Oracle et un ex de l'éditeur expliquent comment les ventes cloud d'Oracle n'en seraient pas vraiment. Une situation que la direction d'Oracle n'aurait réalisée que récemment. Trop tard pour éviter une « Class Action » d'actionnaires.

Orages d'été dans le cloud d'Oracle. Les pratiques commerciales du numéro 1 des bases de données et du spécialiste des applications métier viennent de connaitre deux gros coups de publicité dont l'éditeur se serait bien passé. Ces pratiques auraient gonflé artificiellement les ventes de cloud d'Oracle.

La direction s'en serait rendue compte, ce qui expliquerait pourquoi elle a décidé de ne plus communiquer ces résultats cloud.

La première révélation - ou confirmation ? - vient d'un commercial d'Oracle qui travaille depuis plusieurs années pour l'éditeur qui s'est livré à Business Insider. Ses propos sont confirmés par Craig Guarente, CEO de Palisade, ex-d'Oracle spécialiste aujourd'hui de la négociation des licences.

En résumé : le changement dans la communication financière d'Oracle cache que tous les revenus cloud ne sont, en fait, pas réellement du cloud.

Des frais de support qui se transforment en crédit cloud

Comment réussir ce tour de passe passe ? Tout simplement en incluant des crédits cloud dans le contrat d'un client, même si celui-ci ne voulait pas de cloud.

Le principe est le suivant : un client obtient un rabais sur les produits qu'il veut (HCM, ERP, SGBD, etc.), si en contrepartie il accepte d'acheter des produits cloud qu'il ne voulait pas (HCM en mode SaaS, crédit PaaS, etc.).

La pratique de vente liée est assez commune et n'est pas le fait du seul Oracle

Au final, le client bénéficie d'un rabais sur la licence voulue. Etant supérieur à sa dépense cloud, non voulue, il économise de l'argent. Quant au commercial, il augmente artificiellement sa performance de vente cloud, principal indicateur sur lequel il est évalué et intéressé.

La justification officielle de la pratique est de permettre aux clients de tester « un peu » de cloud pour se faire une idée, à un tarif préférentiel.

L'argument se défend, d'autant plus que la pratique est assez commune et qu'elle dépasse largement le seul cas d'Oracle.

Là où le bât blesse, surtout en interne, c'est que les commerciaux d'Oracle l'auraient également appliquée au support.

En d'autres termes, les clients qui acceptent de prendre du cloud - même sans en avoir besoin - se voient proposer une réduction des tarifs de support de leurs produits sur site.

Problème, année après année, les commerciaux se seraient montrés de plus en plus gourmands sur le montant de cloud qu'il fallait prendre pour bénéficier d'un rabais sur les supports, faisant gonfler d'autant le montant artificielle de cloud dans les comptes d'Oracle.

A l'insu du plein gré du Top Management

Le « Cancel & Replace » ne serait pas du tout du goût du Top Management

A la décharge d'Oracle en tant que groupe, la pratique (baptisée « Cancel & Replace » pour « Annuler (le support) et le Remplacer (par du cloud) ») dépendrait beaucoup des équipes locales. Certains managers ne l'ont jamais appliquée (ou à la marge), d'autres l'ont poussée à outrance, quitte à menacer leurs vendeurs et à les mettre dans des situations intenables. Car la méthode n'est pas du tout du goût du Top Management.

Et pour cause, le support chez Oracle coûte cher. Il est par conséquent une de ses sources de revenus - et de marges - privilégiées. Il est aussi un des points qui lui a donné une mauvaise image de « vendeur prédateur » auprès de certains clients. A tel point que Oracle avait décidé, pour la France, de recruter Gérald Kersanti pour redorer son blason. Celui-ci a claqué la porte au bout de six petits mois.

Rogner sur le support pour vendre de manière artificielle du cloud était peut être bon à court terme pour les commissions des vendeurs, mais pas pour le cloud d'Oracle à long terme.

L'année dernière, la direction d'Oracle a découvert le pot-au-rose et a depuis interdit la pratique.

Le BYOL qu'il a annoncé l'année dernière - qui permet prendre ses licences sur site (par exemple d'une 12c) pour les migrer sur le cloud d'Oracle (IaaS ou PaaS) - n'est par exemple possible que si le client s'acquitte bien du support d'Oracle.

Action de groupe

Au quatrième trimestre fiscal de cette année, Oracle a donc décidé de ne plus séparer ses revenus cloud du reste de son chiffre d'affaires. Le revirement a surpris les analystes, et les explications de Mark Hurd sur ce flou volontaire n'a pas convaincu.

Depuis cette semaine, Oracle va même devoir répondre à une action de groupe lancée par un fonds de pension (le City of Sunrise Firefighters' Pension Fund). Cette « class action » accuse Oracle d'avoir « publié des communiqués de presse, déposé des documents auprès de la Securities and Exchange Commission (NDR : gendarme de la bourse US) et fait des déclarations lors de conférences téléphoniques avec les investisseurs et les analystes qui étaient faux et trompeurs ».

Plus précisément, le fonds reproche à Oracle d'avoir expliqué sa croissance sur la période de mai 2017 à mars 2019 par des actions pérennes (« un niveau sans précédent d'automatisation et de réduction de coûts », d'être « à l'écoute du client » et « de nouer des partenariats intimes avec eux » (sic)). Alors que d'après le document de l'action de groupe, la croissance aurait reposé sur des stratégies coercitives, court-termistes et contreproductives.

Une des ces stratégies coercitives est la bien connue pression des audits. Oracle aurait ainsi, en plus du Cancel & Replace, « menacé ses clients actuels de procéder à des "audits" de leur utilisation des licences logicielles hors cloud, à moins qu'ils n'acceptent de migrer leurs programmes vers le cloud ».

« Un lien entre le mauvais rendement d'Oracle et ses tactiques de vente inappropriées »

Résultat, pour le fonds, Oracle a menti aux marchés. « Oracle a falsifié les véritables moteurs de la croissance de son cloud. En vérité, il a stimulé ses ventes en utilisant des menaces et des tactiques d'extorsion (sic). L'utilisation de telles tactiques a masqué le manque de demande réelle pour les services cloud d'Oracle ».

Au-delà des accusations de mensonges à la SEC, le fonds souligne que ces pratiques ont également - et surtout - été contreproductives. « Elles ont rendu la croissance non durable et, en fin de compte, elles ont fait fuir les clients », écrit-il, et ce alors que Mark Hurd et Safra Katz, les deux co-CEO d'Oracle, et leur DAF expliquaient exactement le contraire.

Depuis, conclue le communiqué, la vérité a éclaté au grand jour le 19 mars 2018 quand Oracle a admis que la croissance de son cloud stagnait et qu'il prévoyait « une croissance dans le cloud inférieure à celle de ses concurrents ».

-10 % pour l'action depuis mars

Les analystes auraient alors réalisé et établi « un lien entre le mauvais rendement financier d'Oracle et ses tactiques de vente inappropriées ».

Depuis, le cours de l'action d'Oracle a largement baissé.

L'action est passé de 53 dollars à son plus haut en mars, à 43 dollars à son plus bas fin juin (-18 %), avant de rebondir autour des 48 dollars en août (soit une baisse de 10 % depuis le fameux 19 mars).

Sous la pression des marchés, les prochains résultats financiers d'Oracle dissiperont peut être le brouillard autour de son cloud ?

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