Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 mars 2018, 16-28.561, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'ordonnance attaquée, que la société EDF a présenté pour consultation aux comités d'entreprise et aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'entreprise, entre mai et juin 2016, un projet de « schéma directeur des implantations des entités de la direction des services partagés » ; que les délais de consultation ont été prorogés à la suite d'un litige sur les documents présentés aux institutions représentatives du personnel ; que lors de réunions du 31 août et 6 septembre 2016, les CHSCT ont désigné le cabinet Emergences en qualité d'expert ; que le 17 octobre 2016, l'employeur a saisi le président du tribunal de grande instance d'une contestation du coût prévisionnel et des modalités de l'expertise ; que la requête a été déclarée irrecevable comme forclose ; que par décision du 13 juillet 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation a renvoyé devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative au point de départ du délai de forclusion de quinze jours institué par l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Attendu que la société EDF fait grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable comme forclose son action alors, selon le moyen, que l'article L. 4614-13 du code du travail qui, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, fixe le point de départ du délai de forclusion de quinze jours pour contester le coût prévisionnel, l'étendue et le délai de l'expertise à la date de la délibération du CHSCT désignant un expert, sans exiger que cette délibération fixe ces modalités, ne sont pas conformes aux garanties résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que l'abrogation de l'article L. 4614-13 du code du travail qui sera prononcée par le Conseil constitutionnel par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité aura pour conséquence de priver de tout fondement juridique les dispositions de l'ordonnance attaquée par laquelle le président du tribunal de grande instance de Bobigny a déclaré le recours de la société EDF irrecevable comme forclos ;

Mais attendu que dans sa décision n° 2017-662 QPC du 13 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a dit conformes à la Constitution les termes de la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; que le moyen est devenu sans objet ;

Mais sur la seconde branche du pourvoi principal de la société EDF :

Vu l'article L. 4614-13 et l'article L. 4614-13-1 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 interprétés à la lumière de l'article 6,§ 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, l'employeur qui entend contester le coût prévisionnel de l'expertise tel qu'il ressort, le cas échéant, du devis, saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; qu'aux termes du second des textes susvisés, l'employeur peut contester le coût final de l'expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'employeur a été informé de ce coût ; qu'il résulte de ces textes que le délai de quinze jours pour contester le coût prévisionnel de l'expertise ne court qu'à compter du jour où l'employeur en a été informé ;

Attendu que pour déclarer forclose l'action de la société EDF, le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés retient que le législateur a fait de la délibération du CHSCT l'unique point de départ du délai pour agir de l'employeur, quel que soit le motif fondant sa contestation ; qu'en l'espèce, les délibérations des CHSCT ayant été prises entre le 31 août et le 6 septembre 2016, le délai pour agir de l'employeur expirait le 21 septembre 2016, peu important que le coût prévisionnel de l'expertise n'ait été connu que le 4 octobre 2016 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur contestait le coût prévisionnel de l'expertise et les modalités de mise en oeuvre de celle-ci qui ne figuraient pas dans les délibérations des CHSCT décidant du recours à l'expertise, le président du tribunal de grande instance a méconnu les exigences des textes susvisés ;

Attendu que la cassation à intervenir du chef du pourvoi principal rend sans objet l'examen du pourvoi incident ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 16 décembre 2016, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Bobigny, statuant en la forme des référés ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le président du tribunal de grande instance de Paris ;

Condamne l'association Emergences aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Electricité de France.

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré irrecevable comme forclose l'action de la société EDF ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion Les défendeurs invoquent, en tout début de procès, la forclusion de l'action de la société EDF fondée sur les dispositions de l'article L.4612-13 du code du travail tel que modifié par la loi du 8 août 2016, dite « Loi travail » qui enferme les contestations de l'employeur dans un délai de 15 jours à compter de la délibération du CHSCT. La société EDF leur réplique que l'action n'ayant pas pour finalité d'anéantir la délibération, le fait qu'elle n'ait pas été engagée dans les 15 jours de celle-ci n'a pas pour effet de la rendre irrecevable, car le délai de contestation ne peut courir qu'à partir du moment où le coût provisionnel de l'expertise est connu, soit à la date de réception de la convention qui arrête les conditions d'intervention de l'expert et, par conséquent, le coût définitif de l'expertise. Ce document lui a été adressé le 4 octobre 2016, reçu le 5, de sorte que l'assignation délivrée le 17 octobre, l'a bien été dans le délai de 15 jours. L'article L. 4614-13 alinéa 2 du code du travail modifié par la loi n° 2016- 1088 du 8 août 2016 prévoit que l'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel de l'expertise tel qu'il ressort, le cas échéant, du devis, l'étendue ou le délai de l'expertise saisit le juge judiciaire dans un délai dc quinze jours à compter de la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1. Le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine. Il en résulte que le législateur a fait de la délibération du CHSCT l'unique point de départ du délai pour agir de l'employeur, quel que soit le motif fondant sa contestation, En l'espèce, les délibérations des CHSCT ayant été prises entre le 31 août et le 6 septembre 2016, le délai pour agir de l'employeur expirait le 21 septembre 2016 à 24 heures. L'action introduite le 17 octobre 2016 était donc forclose, de sorte que la société EDF doit être déclarée irrecevable en ses demandes. Peu importe à cet égard que le coût prévisionnel de l'expertise n'ait été connu que le 4 octobre 2016, aucune disposition n'imposant à l'expert de le porter à la connaissance de l'employeur dans le délai de 15 jours de la délibération » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE l'article L. 4614-13 du code du travail qui, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, fixe le point de départ du délai de forclusion de 15 jours pour contester le coût prévisionnel, l'étendue et le délai de l'expertise à la date de la délibération du CHSCT désignant un expert, sans exiger que cette délibération fixe ces modalités, ne sont pas conformes aux garanties résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que l'abrogation de l'article L. 4614-13 du code du travail qui sera prononcée par le Conseil Constitutionnel par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité aura pour conséquence de priver de tout fondement juridique les dispositions de l'ordonnance attaquée par laquelle le président du tribunal de grande instance de Bobigny a déclaré le recours de la société EDF irrecevable comme forclos ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même ; qu'une telle atteinte est caractérisée lorsque le délai de contestation par l'employeur des modalités d'une expertise décidée par le CHSCT, prévu par l'article L. 4614-13 du code du travail, court du jour de la délibération du CHSCT procédant à la désignation de l'expert sans déterminer les modalités de l'expertise et que ces modalités sont adressées à l'employeur postérieurement à l'expiration du délai de contestation ; qu'ainsi le délai pour engager l'action expire avant même que les conditions requises pour engager ladite action, à savoir l'existence d'un différend entre les parties, puisse exister ; qu'au cas présent, la société EDF ne contestait pas le recours à l'expertise décidée par des délibérations des différents CHSCT prises entre le 31 août et le 6 septembre 2016 mais contestait le délai de l'expertise et les modalités de celles-ci, notamment son coût, dont elle demandait au juge de constater le caractère disproportionné et injustifié ; qu'il résulte des constatations de l'ordonnance que l'expert n'avait adressé à l'employeur la convention définitive avec le coût de l'expertise que le 4 octobre 2016, soit plus de quinze jours après la dernière délibération des CHSCT ; qu'en faisant néanmoins courir le délai de contestation à la date de la dernière délibération et en déclarant le recours de la société EDF irrecevable comme forclos, cependant qu'il constatait que cette dernière n'avait pas eu connaissance en temps utile des modalités de l'expertise, le juge du fond a violé, par refus d'application, l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour l'association Emergences et les comités d'Hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société EDF DSP IT IDF Clamart, DSP tertiaire IDF Clamart, DSP IT Nanterre, DSP tertiaire Paris/Nanterre, DSP IT La Défense, DSP IT IDF Olivet/Pacy, DSP IT IDF Saint-Denis, DSP tertiaire Rhône-Alpes (Lyon), DSP tertiaire Est, DSP tertiaire hors Lyon, région RAA, DSP tertiaire Ile-de-France autre site (Saint-Denis), DSP tertiaire Rouen, DSP tertiaire Ile-de-France autre site (Dammarie-les-Lys) et DSP tertiaire Méditerranée.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société EDF à payer aux 14 CHSCT la somme globale de 3000 € au titre de leurs frais d'avocats ;

AUX MOTIFS QUE « en l'absence de ressources propres des CHSCT et en l'absence d'abus de ceux-ci de leur droit d'agir en justice, il convient de faire droit à leur demande et de condamner la société EDF à leur payer la somme de 3000 € au titre de leurs frais de procédure » ;

ALORS QUE le principe d'égalité des armes selon lequel un juste équilibre doit être maintenu entre les parties impose au juge de fixer le montant des frais et honoraires d'avocat exposés par le CHSCT qui seront mis à la charge de l'employeur en application de l'article L. 4614-13 du Code du travail au regard du montant des frais et honoraires d'avocat exposés par l'employeur lui-même ; qu'en l'espèce, en retenant qu'il convenait de condamner la société EDF à payer aux CHSCT exposants la somme de 3000 € au titre de leurs frais de procédure quand ces derniers sollicitaient à ce titre une somme de 5000 € et produisaient à l'appui de leur demande les notes d'honoraires de leurs avocats, sans tenir compte du montant des frais et honoraires d'avocat exposés par la société EDF elle-même pour les besoins de la procédure, le Président du Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;

ALORS à toute le moins QUE les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; que s'agissant des honoraires d'avocat du CHSCT, il incombe au juge, en cas de contestation du montant de ces honoraires par l'employeur, de fixer le montant de ces honoraires qui seront mis à sa charge en application de l'article L. 4614-13 du Code du travail en fonction de ces critères ; qu'en l'espèce, en retenant qu'il convenait de condamner la société EDF à payer aux CHSCT exposants la somme de 3000 € au titre de leurs frais de procédure quand ces derniers sollicitaient à ce titre une somme de 5000 € et produisaient à l'appui de leur demande les notes d'honoraires de leurs avocats sans faire état des critères déterminants de son évaluation, le Président du Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions de l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ensemble l'article L. 4614-13 du Code du travail ;

ALORS très subsidiairement QUE le juge est tenu de motiver sa décision ;
qu'en l'espèce, en retenant qu'il convenait de condamner la société EDF à payer aux CHSCT exposants la somme de 3000 € au titre de leurs frais de procédure quand ces derniers sollicitaient à ce titre une somme de 5000 € et produisaient à l'appui de leur demande les notes d'honoraires de leurs avocats sans donner aucun motif à l'appui de sa décision de ne faire droit que partiellement à la demande des CHSCT, le Président du Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2018:SO00527
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