Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 mars 2017, 16-81.346, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


-
La société Noirot,


contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 16 décembre 2015, qui, pour blessures involontaires, l'a condamnée à 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;












La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 janvier 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de Mme le conseiller INGALL-MONTAGNIER, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général LE DIMNA ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-2, 121-3, 222-19 du code pénal, L. 4741-1, L. 4741-2, R 4224-3, R. 4323-52, R. 4321-4 du code du travail, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la SAS Noirot coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et l'a condamnée de ce chef au paiement d'une amende de 5 000 euros, et prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que l'article 222-19 du code pénal réprime le fait de causer involontairement à une personne une incapacité totale de travail supérieure à trois mois par manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que la responsabilité d'une personne morale peut être recherchée sur le fondement de ce texte, dès lors que le manquement relevé résulte de l'abstention de l'un de ses organes ou de son représentant, et a été commis pour le compte de cette société, conformément aux dispositions de l'article 121-2 du code pénal ; qu'enfin, l'exigence d'un manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en cas de responsabilité dite indirecte, est étrangère au domaine de la responsabilité pénale des personnes morales ; qu'en l'espèce, le rapport de l'inspection du travail met en évidence une première infraction a la règle posée par l'article R. 4224-3 du code du travail selon lequel "les lieux de travail intérieurs et extérieurs sont aménagés de telle façon que la circulation des piétons et des véhicules puissent se faire de manière sûre" ; que ce manquement est caractérisé par le fait que l'allée de circulation ne comporte pas de distinction matérialisée, notamment par le marquage au sol, entre la zone de circulation des chariots et des piétons, ni de matérialisation du passage piéton en extrémité d'allée afin de gagner la sortie ; qu'alors que, de surcroît, les allées se coupaient à angle droit et que la visibilité était d'autant plus réduite que des chariots de produits finis stationnes a l'intersection des deux allées masquaient la visibilité, aucun miroir ne permettait de voir dans l'autre allée l'absence de danger ; qu'en second lieu, ce manque de visibilité à l'intersection des deux allées, que la chariot automoteur ait circulé en marche arrière ou en marche avant, comme il aurait dû le faire selon M. [T] [R], constitue également un manquement aux règles d'organisation posées par l'article R. 4323-52 du code du travail, selon lequel "des mesures d'organisation sont prises pour éviter que des travailleurs à pied se trouvent dans la zone d'évolution des équipements de travail mobiles et, lorsque la présence de ces travailleurs est néanmoins requise pour la bonne exécution des travaux, pour éviter qu'ils ne soient blessés par ces équipements" ; qu'enfin, l'inspection du travail relève que l'employeur s'est abstenu, ainsi que le requiert l'article R. 4321-4 du code du travail, de mettre à la disposition du salarié des équipements de protection individuelle, en l'occurrence des chaussures de sécurité, alors que le gardien circulait dans les ateliers et se trouvait exposé à des risques de blessures liées en particulier à la circulation de chariots ; qu'il est assez vain de soutenir, comme le fait M. [T] [R] sans se référer à aucun document contractuel ou autre, que les rondes du gardien ne devaient pas le conduire ailleurs que dans les allées piétonnes, alors que les aléas ou les nécessites de cette fonction consistant notamment à assurer l'entretien général aussi bien intérieur qu'extérieur, ainsi que la surveillance de jour et de nuit des locaux, des entrées et sorties du personnel, du public et des marchandises étaient au contraire susceptibles de l'amener à déambuler dans l'ensemble des allées ; que lors de son audition, M. [G] a ainsi précisé que tous les soirs, il se déplaçait dans l'usine à différentes heures pour fermer les portes ou la lumière et s'assurer qu'il n'y avait pas de problèmes ; que l'accident dont M. [G] a été la victime trouve directement sa cause dans les manquements ci-dessus mis en évidence en matière d'aménagement des aires de circulation et d'organisation ; qu'il a également été cause directement et/ou a été aggravé par le défaut de mise à disposition d'équipements individuels de sécurité ; qu'en l'absence de délégation de pouvoirs conférée à un salarié pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaire, M. [S], président de la SAS Noirot, avait la charge d'assurer le respect des obligations de sécurité ci-dessus énumérées et mises à la charge de l'employeur ; que la SAS Noirot n'invoque aucune délégation de pouvoir qui aurait été consentie par M. [S] à un autre cadre ou salarie de l'entreprise, se bornant à faire état d'une direction administrative confiée à M. [R] et d'une direction industrielle confiée à M. [V] et produisant uniquement le contrat de travail du premier nommé qui ne comporte aucune clause susceptible de caractériser une telle délégation de pouvoirs ; qu'au demeurant, s'il était identifie un tel délégataire de pouvoir, il représenterait la SAS Noirot et les manquements qui lui seraient imputables ne manqueraient pas d'engager la responsabilité pénale de la société ; qu'ainsi qu'il a été rappelé, l'accident trouve sa cause dans des manquements à des obligations mises par la loi à la charge de l'employeur, dont M. [S], en sa qualité de président de la SAS Noirot, doit répondre ; que par suite, ces manquements commis dans le cadre de sa fonction d'organe de la personne morale engagent la responsabilité pénale de cette dernière qui doit donc être déclarée coupable du délit de blessures involontaires sur la personne de M. [G] ayant entraîne une incapacité supérieure à trois mois, ainsi qu'en a décidé fort justement le premier juge ; qu'au regard de la gravité des manquements commis et de la surface financière de la SAS Noirot, l'amende de 5 000 euros infligée par le premier juge doit être confirmée" ;

"1°) alors que le lien de causalité entre la faute et le dommage n'est direct que lorsque l'imprudence ou la négligence reprochée était, soit la cause unique et exclusive, soit la cause immédiate ou déterminante de l'atteinte à l'intégrité de la personne physique ; qu'en affirmant que l'accident dont M. [G] a été la victime a "trouvé directement sa cause dans les manquements" prétendument mis en évidence en matière d'aménagement des aires de circulation et d'organisation quand la cause directe de l'accident ne résultait que du heurt de la victime par un chariot élévateur circulant en marche arrière nonobstant l'absence de visibilité insuffisante, et que les manquements reprochés n'avaient tout au plus que contribue à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale en violation des textes vises au moyen ;

"2°) alors que l'existence de manquement en matière de sécurité du travail doit être appréciée au jour de la commission des faits reprochés sans pouvoir être déduite de la seule et unique survenance de l'accident ; qu'il est établi en l'espèce qu'avant cet accident, ni l'Inspection du travail, ni le CHSCT n'avaient formule de recommandations tendant à procéder à des aménagements dans les allées de circulation, que ce soit par marquage au sol ou par pose de miroirs aux intersections ; que, de même, nonobstant l'organisation de réunions tous les trois mois, à aucun moment, le CHSCT pas plus que l'Inspection du travail et le contrôleur sécurité n'avaient émis le moindre reproche sur les équipements de protection individuelle mis à la disposition des salariés en tant que de besoin, ni formulé aucune recommandation quant au port obligatoire de chaussures de sécurité pour l'ensemble des salariés ; qu'en se bornant ainsi à déduire les manquements prétendus en matière d'aménagement des aires de circulation et d'équipements de protection individuelle, de la seule et unique survenance de l'accident, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

"3°) alors qu'une personne morale ne peut être déclarée pénalement responsable que s'il est établi que l'infraction a été commise pour son compte par l'un de ses organes ou représentant concrètement identifié, conformément aux exigences de l'article 121-2 du code pénal ; qu'en désignant arbitrairement et abstraitement le président de la société comme responsable de l'infraction reprochée, sans avoir nullement recherché à établir par qui les manquements reprochés avaient été réellement commis, sur le fondement de motifs purement hypothétiques allant jusqu'à affirmer, que si un délégataire de pouvoir devait être identifié, "il représenterait la société" et que les manquements qui lui "seraient imputables" ne "manqueraient pas d'engager la responsabilité pénale de la société", la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et la jurisprudence constante de la chambre criminelle rendue sur son fondement, privant sa décision de condamnation de toute base légale ;

"4°) alors que la charge de la preuve appartient à la partie poursuivante et le doute profite a l'accusé ; qu'en matière de délits d'homicide et de blessures involontaires, il appartient à la partie poursuivante de démontrer que l'infraction a bien été réalisée par les décideurs de la société, "organe ou représentant" ; que, pour imputer à la société personne morale, les manquements reprochés, la cour d'appel affirme qu'ils ne peuvent avoir été commis que par son président faute pour la prévenue d'avoir invoqué une délégation de pouvoir qui aurait été consentie par ce dernier à un autre cadre ou salarié de l'entreprise ; qu'en prononçant ainsi quand il lui appartenait au contraire de désigner la personne physique à l'origine des manquements reprochés et de vérifier si elle bénéficiait ou non d'une délégation de pouvoir de nature à en faire un représentant de la personne morale, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et privé sa décision de toute base légale" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que, le 27 août 2012, M. [G], salarié de la société Noirot, a eu lors d'une ronde le pied droit écrasé par un chariot automoteur de manutention et a dû être amputé, que le tribunal correctionnel a déclaré la société, représentée par son président, M. [S], coupable de blessures involontaires et prononcé sur les intérêts civils ; que la société prévenue a interjeté appel principal de cette décision et le ministère public appel incident ;

Attendu que, pour confirmer le jugement et retenir la culpabilité de la société Noirot, l'arrêt énonce que le rapport de l'inspection du travail a mis en évidence des infractions aux articles R. 4224-3, R. 4323-52 du code du travail en matière d'aménagement des aires de circulation et d'organisation des lieux de travail et relevé que l'employeur s'est abstenu de mettre à la disposition du salarié, comme le requiert l'article R. 4321-4 du même code, des équipements de protection individuelle, en l'occurrence des chaussures de sécurité ; que les juges ajoutent que l'accident dont le salarié a été la victime trouve directement sa cause dans les manquements mis en évidence en matière d'aménagement des aires de circulation et d'organisation, et/ou a été aggravé par le défaut de mise à disposition d'équipements individuels de sécurité, qu'ils relèvent également qu'en l'absence de délégation de pouvoirs conférée à un salarié pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaire, M. [S], président de la SAS Noirot, n'a pas assuré la charge des obligations de sécurité ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel, qui a caractérisé à la charge de la société poursuivie une faute d'imprudence et de négligence, en lien causal avec le dommage subi par la victime, et commise, pour son compte, par M. [S], dirigeant de l'entreprise, a justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 121-2 du code pénal ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, le caractère direct ou indirect du lien de causalité étant sans incidence sur les conditions d'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mars deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2017:CR00233
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