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5 faits à connaître sur Joseph Caillaux, ténor singulier de la IIIe République et créateur de l’impôt sur le revenu

Joseph Caillaux fait partie des personnalités un peu oubliées de l’histoire politique du XXe siècle. Sa vie et sa carrière sont pourtant marquées par des circonstances peu banales, entre réussites formidables et revers douloureux… Henri Paul, qui propose une nouvelle édition de ses Mémoires, revient pour Historia sur cinq informations clefs sur cette personnalité bouillonnante, entourée de controverses.

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Joseph Caillaux à la charnière entre les XIXe et XXe siècles. (Library of Congress/Wikimedia commons)

Par Pierre-Louis Lensel

Publié le 11 mai 2024 à 17:45

En s’engageant à gauche, Joseph Caillaux se démarque de son père

Henri Paul : « Son père, Eugène, est un riche homme d’affaires orléaniste, qui a été ministre sous Mac Mahon, dans les années 1870, au début de la IIIe République. Or, pour Joseph, né en 1863, ce camp n’apparaît vite pas comme le bon. Globalement, il veut exister par lui-même et exerce tôt une vraie indépendance d’esprit par rapport à son milieu de grand-bourgeois : par exemple, il résiste à l’idée de faire polytechnique et il n’entend pas se marier – du moins dans un premier temps. Il en va de même politiquement : il se démarque en choisissant la gauche républicaine et en devenant à son tour ministre des Finances, dès 1899, dans le gouvernement mené par Waldeck-Rousseau. Toute sa vie, Joseph Caillaux restera un homme de convictions. Sa liberté et ses idées lui importent plus que sa classe sociale ou ses amis, quitte à se faire détester. »

Il est à l’origine de l’impôt sur le revenu en France

« L’idée d’un tel impôt apparaît dans le programme du Parti radical dès sa création, en 1901. Mais la volonté de l’appliquer concrètement n’est pas évidente – un tel projet heurte trop d’intérêts et fait craindre la mise en place d’une ‘inquisition fiscale’ redoutée par la bourgeoisie, y compris de gauche. Joseph Caillaux, en tant qu’inspecteur des finances, se convainc, lui, que seul l’impôt sur le revenu permettrait d’assurer aux finances publiques une alimentation fiable et continue. En faisant progresser cette idée, il s’impose comme un réformateur important de la fiscalité, sujet sur lequel il a une maîtrise réelle – ce qui n’est pas si fréquent dans le personnel politique, y compris parmi les ministres des Finances qui l’ont précédé !

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Caillaux, pour mener le projet à bien, trouve des inspirations en Angleterre, mais il y injecte aussi beaucoup de lui-même. Il propose une réforme solide en 1909, sous le gouvernement Clemenceau, qui, lui, s’intéresse assez peu au sujet. Le projet avance, mais n’aboutit pas tout de suite. Il faut attendre 1914 et la montée des périls internationaux, pour qu’il soit totalement voté : la droite nationaliste est alors obligée, pour assurer le financement de l’effort de guerre, d’accepter le nouvel impôt. »

Il a été traité d’homme « le plus haï de France »

« La phrase est de Maurice Barrès. Caillaux, en tant que dreyfusard convaincu, que réformateur ambitieux et que pacifiste s’est attiré les foudres de la droite. Il faut aussi avoir en tête que la IIIe République est une période très dure, marquée par des campagnes de presse d’une violence phénoménale, avec des oppositions politiques d’une grande rudesse – y compris entre représentants de sensibilités proches ou susceptibles de s’allier. Or, Caillaux se moque de ses ennemis, tout comme il se moque d’être aimé… Cela ne lui facilite pas les choses.

Au cours de sa carrière, il se rend compte que ses soutiens sont plutôt les journaux de province radicaux, de gauche, tandis que, dans les milieux parisiens, il est souvent minoritaire. Mais ça ne l’empêche pas d’être confiant, de croire en son avenir politique, qu’il voit grand ! »

Il est mêlé à un immense scandale en 1914

« Cette affaire est le résultat d’une campagne de presse contre lui. Elle trouve sa source dès 1912, à un moment où Caillaux parvient à faire la paix avec l’Allemagne, dans un contexte de concurrence pour la prise de contrôle du Maroc. Il évite la guerre et affermit la présence française en Afrique du Nord, mais il est traité de lâche ou même accusé d’intelligence avec Berlin, sur la base de vagues éléments fournis par les bureaux des Affaires étrangères.

Au fil des mois, le Figaro va très loin dans les attaques contre Caillaux, en mettant notamment en avant son côté ‘homme à femmes’, en fait assez banal dans l’élite de la Belle Époque… Des lettres légères écrite à sa maîtresse, Henriette, avant qu’elle ne devienne sa seconde épouse, sont notamment publiées dans le journal avec la complicité de… sa première femme !

Henriette, bourgeoise très comme il faut, attachée à sa réputation, vit tout cela très mal. Ne voyant pas de solution juridique pour répondre aux divulgations, elle prend le parti d’agir autrement… Elle se rend en mars 1914 avec un revolver au Figaro, est reçue par son directeur, Gaston Calmette, sur qui elle tire à plusieurs reprises. Il meurt cinq heures après…

L’affaire est un immense scandale. Caillaux démissionne du ministère des Finances pour préparer la défense de sa femme. Or, on est au cœur d’une campagne électorale qui se présentait bien pour lui… Il réussit tout de même à tourner le procès à son avantage et sa femme en ressort libre. De plus, entre-temps, son camp a gagné les élections. Toutefois, deux difficultés l’empêchent d’aller au bout de ses ambitions : il ne parvient pas à s’entendre avec Jean Jaurès, situé plus à gauche que lui, pour s’associer au pouvoir et former un « cercle de la paix », puis, la guerre ayant éclaté, son pacifisme le dessert… »

Pendant la Première Guerre mondiale, il est accusé de trahison

« Son pacifisme est modéré et basé sur des observations pragmatiques. Pendant la guerre, il est enrôlé, mais il a n’a aucune confiance en l’armée, pas plus qu’il n’adhère à la doctrine militaire française, qu’il considère très médiocre. Son pacifisme est lié à son idée que les forces françaises n’allaient pas réussir à gagner la guerre. Il estime, dès lors, qu’il vaut mieux s’entendre avec l’Allemagne que perdre contre elle.

Or, voilà que, pendant le conflit, on l’envoie effectuer des missions commerciales en Amérique du Sud. Là, il rencontre des espions allemands, ce qui ne signifie pas du tout qu’il ait trahi ! C’est surtout avec l’arrivée de Clemenceau au pouvoir, en 1917, que les problèmes commencent : craignant que Caillaux ne lui conteste le pouvoir, Il avive des bruits contre lui. Des paroles, des rencontres, des imprudences sont évoquées pour tenter de le faire passer devant un tribunal militaire. C’est un échec : en dépit d’une instruction scandaleuse, le procureur militaire ne trouve rien de très probant. On essaye donc de le faire passer devant la Haute Cour, composée de sénateurs, ce qui équivaut à un tribunal politique. Malgré la faiblesse des preuves, il est condamné à une peine de prison qu’il avait déjà faite préventivement, à la privation de ses droits civiques et à la relégation hors de Paris. Il est clair qu’il faisait peur politiquement.

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D’ailleurs, début 1925, après un succès électoral de la gauche, il est réhabilité. Par la suite, il redevient ministre des Finances puis sénateur. Mais les temps ont changé : il reste un homme très important, d’influence, même s’il n’est plus au tout premier plan. »

Joseph Caillaux en une de Time Magazine, le 7 septembre 1925.Time Magazine/Wikimedia commons

Il vote les pleins pouvoirs à Pétain avant de se retirer

« Il figure parmi les très nombreux parlementaires qui votent les pleins pouvoirs à Pétain, dans le contexte de la débâcle, en 1940. Toutefois, il refuse toute collaboration avec Vichy. Il abandonne l’action politique, écrit ses Mémoires et meurt en novembre 1944. Il était antihitlérien, ce qu’il a écrit très clairement. Il pensait que les Allemands perdraient la guerre, ce qui s’est passé. Jusqu’au bout de sa vie, il est resté un homme de gauche. »

A noter :

Pour en savoir plus : Joseph Caillaux, Mémoires, édition présentée et annotée par Henri Paul, Perrin, Paris, 2024.

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