"Si on supprime les notes, on ne supprime pas les évaluations"

**France Bleu Gironde : Depuis 2013, vous appellez à supprimer les notes en signant l'appel de l’Association de la fondation étudiante pour la ville , pourquoi ? **

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François Dubet : Que les choses soient bien entendues, il s’agit de supprimer un système de notes qui est en cours, mais il ne s’agit pas de supprimer l’évaluation des élèves. Il s’agit de proposer des systèmes d’évaluation qui permettent aux élèves de savoir où ils en sont et qui les aident à progresser. Beaucoup de personnes, dont moi, pensent que le système en place a quelque chose de peu fiable et enferme les élèves dans un sentiment profond d’échec et d’incapacité. Il faut aider les élèves en les évaluant. Je le dis pour éviter les querelles. Elles ne manqueront pas d’apparaitre en disant "on supprime les notes, on supprimer l’évaluation, on supprimer les classements, on va faire comme si tout le monde était tout le monde" . Mais ce n’est pas le cas. L’idée est de dire qu'il faut essayer d’évaluer les élèves d’une manière qui les rendent service et non d’une manière qui les classent et les rangent, d’une manière vécue par les élèves comme définitive sans leur permettre véritablement de progresser.

Ce serait un des éléments pour lutter contre le décrochage scolaire ?

Il y a 1.000 manières de lutter contre le décrochage scolaire, mais c’est évident que quand on a des élèves qui passent beaucoup de contrôle. Ils ont beaucoup, beaucoup de notes à l’école élémentaire et au collège. L'élève qui accumule les mauvaises notes, alors qu’il essaie de travailler, peut rapidement se sentir incapable, peu aider, peu soutenu, au fond sans savoir pourquoi il a ses mauvaises notes. On le fait redoubler et en général ça ne sert pas à grand-chose. On peut donc avoir des élèves qui à l’âge de 15 ans peuvent se dire : "Je suis dans un système où je perds toujours quoique je fasse. C’est humiliant. C’est blessant. J’ai le sentiment de perdre mon temps, je sors du jeu." Alors évidemment, la transformation de la notation et une évaluation plus attentive au niveau de chaque élève seraient un progrès, mais n’imaginons pas qu’il y ait une solution miracle.

Les notes seraient alors remplacées par une panoplie d’évaluations. De quoi faire craindre un système devenant trop complexe et trop chargé ?

Peut-être faut-il déjà évaluer moins souvent. C'est en tout cas un travail que d’évaluer des copies, de voir l’évolution des élèves par rapport aux évaluations précédentes, c’est beaucoup plus de travail, mais c’est un travail pédagogique essentiel. Il est évident qu’il est plus facile de ramasser les copies, de les noter de 0 à 20 et de continuer jusqu’à la prochaine fois. De la même manière, il ne serait pas impensable de ne pas donner tous les exercices à tous les élèves de la classe pour que chacun soit confronté à un exercice qui lui permette de progresser – et non pas un exercice que les uns vont réussir et que les autres vont échouer. Incontestablement, c’est plus de travail, mais il faut peut-être redéfinir le travail enseignant comme avoir moins d’heures devant la classer et plus d’heures individuellement avec les élèves.

**L’idée de supprimer les notes est défendue par la FCPE, l’Afev, mais aussi évoqué par les travaux des deux derniers ministres Benoit Hamon et Najat Vallaud-Belkacem, ce sont des bons signes ? **

Pour une fois - ce n’est pas très souvent il faut s’en féliciter - le système prend conscience de ses difficultés. Nous sommes dans une situation étonnante. Nous savons que notre école n’est pas très efficace et surtout pas très équitable. Mais chaque fois qu’on veut quelque chose, on se heurte à de formidables résistances. Je ne crois pas que les ministres puissent décréter du jour au lendemain à partir du 1er septembre 2015 qu’il n’y ait plus de note, ce serait absurde. Il faut développer les initiatives et expériences pour faire comprendre qu’il est possible de faire autrement et former les enseignants à faire autrement. Il faut développer des mœurs scolaires plus adaptées à la situation actuelle. D’ailleurs, les pays aux très bons résultats scolaires ne notent pas comme la France. La France est tout à fait exceptionnelle dans sa façon de noter de 0 à 20 en donnant le même exercice à tout le monde, ce qui fait qu’on a fatalement un tiers de la classe qui n’y arrive pas. Peut-être qu’on peut changer nos manières de faire.

Dans votre nouvel ouvrage La Préférence de l’inégalité , vous analysez choix qui conduisant à l’inégalité. Supprimer les notes amènera plus d’égalité ?

Entendons-nous, si on supprime les notes et la notation automatique de 0 à 20, on ne supprime pas les évaluations. Les élèves seront toujours évalués. Les élèves auront toujours des exercices à faire et on continuera à dire aux uns qu’ils ont réussis et aux autres qu’ils n’ont pas réussi.  Le problème est de permettre à ceux qui n’ont pas réussi de réussir le coup d’après. Les élèves seront toujours évalués. Est-ce que ça réduira les inégalités ? Pas de manière directe. En revanche, si on évite l’écœurement précoce des gamins qui se disent "mon expérience scolaire ne sont que des mauvaises notes" , si on évite le décrochage, si on évite que les élèves aient le sentiment qu’ils sont nuls et n’y arriveront jamais, alors on réduira les inégalités. Non pas en pénalisant les meilleurs élèves mais en permettant aux moins bons d’entre-eux d’élever leurs niveaux. Donc, c’est une bonne chose, mais ce ne sera pas la seule chose à faire.

À LIRE AUSSI ►Le site de la Conférence nationale sur l'évaluation des élèves.**► ** **Le débat sur francebleu.fr : Pour ou Contre la suppression des notes à l'école ? **► **Visite d'une école sans note **► Le livre de François Dubet, la Préférence de l'inégalité (Seuil)