Le mystère Pierre-Henri Teitgen
Vianney Huguenot s'interroge à voix haute. Pourquoi Pierre-Henri Teitgen a-t-il été jeté dans les oubliettes de l'histoire, alors qu'il fut un très grand résistant et l'un des personnages les plus influents de la IVe République ? Rappelons qu'il fut d'abord prof à la fac de droit de Nancy.
La question nous taraude souvent : comment s'effectue le tri des personnages qui entrent dans les manuels d'histoire et ceux que l'on jette dans les oubliettes ? Sujet de thèse passionnant, parfois un peu désolant. Rester dans l'histoire est d'ailleurs une obsession pour de nombreuses personnalités. Le parcours de Pierre Henri Teitgen peut éclairer ce débat. C'est le parcours d'un grand bonhomme oublié (il n'est même pas sûr qu'il a une salle à son nom à la fac de droit de Nancy). Et pourtant ce personnage fut un très grand résistant, nommé par Charles de Gaulle en 1942 secrétaire général du Comité des études, un groupe chargé de cibler les premières mesures à prendre après la libération de la France. L'année suivante, il était révoqué par le gouvernement de Vichy alors qu'il enseignait à l'université de Nancy. A la Libération, il est chargé par le général de Gaulle de plusieurs missions dans le domaine de l'information. Il est celui qui réorganise toute la presse et fait notamment fermer les journaux qui avaient continué à paraître officiellement sous l'occupation allemande ; et il va faire transférer leurs moyens de production vers les journaux issus de la résistance et nés dans la clandestinité. Il est ainsi à l'origine du Monde. C'est Pierre-Henri Teitgen qui fait appel à Hubert Beuve-Méry pour créer le journal le Monde en 1944. Teitgen va aussi participer (d'ailleurs avec un Meusien, Paul Hutin, à la création de Ouest France).
C'est difficile de tout caser du parcours de Teitgen, il a été aussi treize fois ministre, à des postes très importants, justice, armée, information, deux fois vice-président du Conseil, cofondateur du parti démocrate chrétien MRP, il fut l'un des politiciens les plus influents de la IVe République et sera par ailleurs corédacteur de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans le monde politique et universitaire, certains le nommaient « Père fondateur du droit communautaire », bref, immense personnage, décédé il y a tout juste 25 ans, le 6 avril 1997, et injustement oublié. Il n'est pas impossible que l'oubli soit volontaire, un oubli dû au fait qu'il s'était fait des ennemis parmi les anciens collabos mais aussi chez certains anciens résistants qui lui reprochaient de ne pas être assez sévère alors qu'il supervisait les délicats procès de l'épuration. En tout cas, Pierre Henri Teitgen consolide l'idée que la voie de la nuance est rarement celle qui vous assure la postérité...