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Les jardins castraux et monastiques d'Alsace, épisode 2

À retrouver dans l'émission
- Mis à jour le
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Réécoutez Emilienne Kauffmann et Pierre Nuss vous parler des jardins d'Alsace, mais pas n'importe lesquels : ceux des châteaux et monastères d'Alsace.

Eglise Sainte-Trophyme d'Eschau
Eglise Sainte-Trophyme d'Eschau

Pour certains, les jardins du Moyen Âge évoquent une certaine nostalgie du paradis perdu : le jardin d’Eden, dans sa représentation médiévale, apparaît comme un espace sacré circulaire, le cercle révèle le divin, le céleste, alors que le carré exprime le terrestre, le carré s’intègre parfaitement dans la symbolique médiévale liée aux nombres : les 4 éléments, les 4 fleuves du paradis, les 4 évangiles, les 4 saisons… Le 4 ou le carré, est le symbole de perfection au Moyen Age, il sert donc de base à la réalisation des jardins.

La théologie du jardin monastique

L'image du jardin dans les monastères du Moyen-Âge ne relève pas de notre conception naturaliste mais d'une vision du monde propre à l'univers médiéval où Dieu est le véritable centre. Selon cette vision, le monde d'ici-bas n'est que l'imparfait reflet des réalités divines, une image du Ciel. La vie terrestre est transitoire et le peuple chrétien est en marche vers « la Cité de Dieu ». Il ne convient pas de représenter l'univers tel qu'on le voit ; il faut s'élever au contraire des formes naturelles vers les vérités divines ; il faut contempler la nature non pour sa valeur esthétique mais pour son contenu symbolique. Dans ce type de jardin, la nature est une donnée spirituelle et non une réalité matérielle (les poètes courtois partagent d'ailleurs la même vision).

Les réalités sont donc vues au travers du prisme de l'analogie, de la topologie (dont l'allégorie est la figure la plus courante) qui s'attache au sens symbolique des choses et des hommes, et de l'anagogie, démarche qui consiste à s'élever de l'image naturelle au sens spirituel qu'elle renferme, mais qui est caché.

Changement philosophique

Toutefois, un changement sensible de perception se produit au XIVe siècle. Sans cesser de faire à Dieu la première place, l'attention des artistes, des clercs, des princes s'est alors reportée vers le monde sensible, la nature. La pensée religieuse a aussi contribué à cette reconversion. Les clercs avaient en effet depuis le début du Moyen-Âge une idée spirituelle et non charnelle de la nature. Au XIIIe siècle, saint François d'Assise et ses frères mineurs sont les premiers à en proposer une idée concrète. Le Cantique des Créatures évoque une nature visible, bienveillante à l'homme, innocente et non coupable du péché originel.

Au XIVe siècle, l'école d'Oxford propose à son tour une vision du monde résolument novatrice et établit une cosmologie différente de celle d' Aristote (qui inquiétait les autorités religieuses). La lumière est la substance commune à tout l'univers ; le monde a pu ainsi avoir un commencement et il peut un jour finir. Pour en comprendre les structures, une science nouvelle est nécessaire, l'optique, fille de la géométrie et de l'arithmétique. De ce fait l'observation directe devient le fondement de la pensée scientifique. L'expérience des sens, l'attention au monde visible, au spectacle de la nature, constituent la démarche scientifique primordiale. La nature est ramenée de l'abstrait au concret.

La traduction immédiate de la réhabilitation de la nature par les philosophes ecclésiastiques a été le développement du décor floral dans la peinture et dans l'enluminure religieuses et, dans les écoles du Nord, la représentation nouvelle de la Vierge non plus au centre d'un chœur d'anges ou de saints, mais assise au milieu des bouquets dans un jardin clos.

Les moines au jardin

Les moines possédaient une connaissance empirique mais très précise des vertus médicinales des plantes. L'herboriste avait un rôle important dans l'abbaye dont il était à la fois l'apothicaire et le médecin. La littérature contemporaine l'a popularisé : Cadfaël à l'abbaye bénédictine de Shrewbury dans les romans d' Ellis Peters, Séverin de l'abbaye italienne du Nom de la Rose d'Umberto Eco. « Guillaume le remercia et dit qu'il avait déjà noté, en entrant, le splendide potager qui lui semblait contenir non seulement des herbes comestibles mais aussi des plantes médicinales, pour autant qu'on pouvait en juger à travers la neige. En été ou au printemps avec la variété de ses herbes, chacune ornée de ses fleurs, ce jardin chante mieux les louanges du Créateur, dit Séverin en guise d'excuse. Pourtant même en cette saison, l'œil de l'herboriste voit à travers les branches sèches les plantes qui pousseront et peut te dire que ce jardin est plus riche que ne le fut jamais un herbier, et plus bigarré, pour superbes qu'en soient ses miniaturisations. » (Le Nom de la Rose, Premier jour, vers none). La pharmacopée médiévale se divise en six grands registres correspondant à des états pathologiques précis : les plantes contre les fièvres, les plantes des femmes, les plantes vulnéraires, les purges, les plantes de maux de ventre, les plantes antivenimeuses.

Selon une croyance couramment admise, qu'on appelle « la théorie des signatures », les caractéristiques de chaque plante permettaient de savoir, par analogie, ce que chacune pouvait soigner, le nom populaire évoquant souvent les caractéristiques du végétal. On y voyait un signe, une manifestation du souci de Dieu de mettre les ressources végétales à la portée des hommes. La pulmonaire, aux feuilles tachées de blanc évoquant les alvéoles des poumons, passait pour adoucissante et pectorale. Le millepertuis, aux feuilles « pertusées » et aux glandes à essence rouge couleur de sang, possédait des vertus vulnéraires, anti-inflammatoires et cicatrisantes. La chélidoine, dont le suc jaune rappelle la bile, soignait les troubles hépatiques. Les chardons, aux feuilles piquantes, servaient à calmer les picotements.

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