Le dictionnaire amoureux de la Moselle : CRUE
Chaque matin, Nicolas Turon rend hommage à son département avec un texte drôle, tendre et complice, en forme de déclaration d’amour à la Moselle. Il choisit un emblème appartenant à l’histoire ou à l’actualité et le traite de manière décalée.
Difficile d’évoquer autre chose ce matin que les inondations qui ont frappé la Moselle le week-end dernier. À peine les travailleurs frontaliers gagnaient-ils leurs pénates pour le congé de fin de semaine, prêts à se coucher, que la Moselle, la Sarre et les deux Nied sortaient de leur lit.
Le péril de l’eau est insidieux, parce que soudain, et terriblement vicieux.
Une première zébrure dans le ciel, quelques gouttes lourdes sur le toit, comme le tac tac des pointes des petits rats de l’opéra, et puis, en un éclair, le déluge, une drache d’enfer, il pleut en une nuit ce qu’il doit pleuvoir en un mois. Les rus débordent, les flots sont incontrôlables, le courant charrie la boue et l’ordure. Noé n’a pas eu le temps d’amarrer. Il aurait de toute façon laissé les cafards et les bourdons sur terre, aux futurs sinistrés.
Le chaos fluide et les courbes liquides viennent chahuter les lignes droites imposées par l’homme à la nature : routes, bâtiments, pylônes, pont et digues. L’eau est un ennemi redoutable, capable de s’infiltrer partout et de s’épanouir dans différents costumes : tombereau, cascade comme goutte-à-goutte, flaque, humidité, moisissure… L’eau abime, noie, trempe, use, et face au désastre, le Mosellan éprouve pléthore d’émotions : la peur, la panique, la tristesse, et puis l’irrémédiable résignation. Il retient ses larmes, car pleurer ne ferait que grossir un peu plus les cours d’eau.
Une crue et tout est cuit.
Un désespoir.
Une misère...