Le musée d’Orsay, à Paris, fête les 150 ans de la naissance de l’impressionnisme en 1874. Pour évoquer les circonstances de cet événement et les styles picturaux du temps, il rappelle que l’atelier de Nadar et le Palais de l’Industrie ont accueilli respectivement la Première exposition des artistes indépendants et le Salon officiel de cette année-là. Mais l’accrochage trop sage et le découpage thématique malmènent l’évocation de ces deux expositions et ne vont pas jusqu’au bout de la volonté de pédagogie des deux commissaires. À découvrir dans l’exposition « Paris 1874. Inventer l’impressionnisme », du 26 mars au 14 juillet.
En 1874, à quelques semaines d’écart, deux expositions se tiennent à Paris. D’un côté, la première exposition de la Société anonyme des peintres, sculpteurs et graveurs occupe du 15 avril au 15 mai l’ancien atelier du photographe Nadar sur le boulevard des Capucines et regroupe plus de 200 œuvres de 31 artistes. De l’autre, le Salon officiel a lieu du 1er mai au 20 juin au Palais de l’Industrie sur les Champs-Élysées, qui permet d’exposer plus de 4000 œuvres.
C’est Degas qui trouve l’ancien local de Nadar et ses salles sur deux niveaux, en pleine lumière ou éclairée au gaz le soir. Chose nouvelle, l’accrochage est sobre, sur un fond brun-rouge, et permet aux artistes de présenter leurs œuvres en ensembles cohérents, peintures et dessins réunis. Même s’il n’existe aucune photographie de cette exposition de 1874, des textes et un catalogue permettent d’imaginer comment les toiles, dessins, gravures et sculptures étaient présentés (ne surtout pas manquer l’exposition immersive en réalité virtuelle d’Excurio, Gedeon Expériences et le musée d’Orsay).
Près de 300 000 visiteurs (contre 3500 chez Nadar) se pressent au Palais de l’Industrie. Accrochées à touche-touche sur plusieurs rangs, des peintures historiques, religieuses ou mythologiques côtoient des paysages et des portraits. C’est un jury, sous le contrôle de la Direction des Beaux-Arts, qui a choisi les œuvres dignes d’être exposées dans cette immense vitrine officielle, contrairement à l’exposition chez Nadar où les artistes eux-mêmes ont tout voulu gérer. L’accrochage d’Orsay, bien sage, n’évoque que partiellement l’ambiance du Salon.
Pendant longtemps, on a laissé entendre que les peintres académiques exposaient au Salon officiel tandis que la future avant-garde impressionniste participait, seule, à l’exposition chez Nadar. Or, il n’en est rien. Les recherches de Sylvie Patry et Anne Robbins prouvent qu’un quart des artistes présents chez Nadar expose également au Palais de l’Industrie. Pour preuve, Le Chemin de fer de Manet, au cadrage original, se trouvait dans la même exposition officielle que Le Départ de la flotte normande d’Albert Maignan !
Douze artistes exposent simultanément leurs œuvres dans les deux expositions pour avoir une meilleure chance de trouver un public d’acheteurs. C’est là que l’exposition manque de pédagogie. On a envie de voir tout de suite qui ils sont, quelles toiles sont présentées d’un côté ou de l’autre, qui sont les refusés du Salon et ceux-ci sont-ils chez Nadar ? Il faut chercher sur les petits cartels le pourquoi du comment. Un des exemples intéressants est Giuseppe De Nittis dont la Route en Italie est chez Nadar, l’Avenue du bois de Boulogne est refusée au Salon mais Dans les blés y est accepté.
Parmi les nombreux paysages figurant chez Nadar, Impression, soleil levant de Monet marque alors les esprits. Cette toile est (comme ici) présentée près de ses pastels et d’études de ciel de son maître Eugène Boudin. Le journaliste Louis Leroy se moque de cet instantané et le qualifie d’impressionniste. Quelques jours plus tard, le critique Jules Antoine Castagnary utilise cet adjectif de manière positive : « Ils sont impressionnistes en ce sens qu’ils rendent non le paysage mais la sensation produite par le paysage ».
Sept expositions impressionnistes vont suivre celle de 1874. La deuxième, en 1876, a lieu à la galerie Durand-Ruel mais il faut attendre la troisième, en 1877, pour que le terme d’impressionniste soit enfin mis en avant dans son titre. Cette section comporte de très nombreuses œuvres aujourd’hui conservées dans la collection d’Orsay comme Bal du moulin de la Galette de Renoir. Choc : une toile de Gustave Caillebotte, en mains privées, montrant des peintres en bâtiment près d’une rue pavée vue en perspective accélérée comme dans Le Pont de l’Europe.
Musé d’Orsay, Paris
Du 26 mars au 14 juillet