C’est l’un des événements de cette fin de Festival de Cannes. Ce 24 mai, le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof doit monter les marches avant la projection de son nouveau film, Les Graines du figuier sauvage, en sélection officielle. Il y revient sur le mouvement “Femme, vie, liberté”, déclenché en Iran en automne 2022, à travers le personnage fictif d’Iman (Misagh Zare). Père de deux filles, celui-ci vient de prendre ses fonctions de juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand éclatent les manifestations.

Le réalisateur dissident de 52 ans vit désormais en Europe. Le 13 mai, il a annoncé qu’il avait fui son pays et pris la voie de l’exil, après sa condamnation à cinq ans de prison par la justice iranienne.

“Il a humilié la République islamique”

La nouvelle de son exil, comme celle de la projection cannoise de son film, passe évidemment mal auprès des médias proches du pouvoir iranien. “Rasoulof, ce cinéaste pro-occidental dont les films amers montrent un Iran plongé dans la noirceur, a tourné le dos à son pays pour devenir le favori du festival politico-cinématographique de Cannes”, réagit par exemple Iran Newspaper, publication du gouvernement.

Au cours de sa carrière, depuis deux décennies, Mohammad Rasoulof a réalisé la quasi-totalité de ses œuvres sans autorisation de tournage. Et il a régulièrement abordé des sujets considérés comme tabous au sein de la République islamique. Par exemple l’assassinat d’intellectuels par la police secrète (Les manuscrits ne brûlent pas, 2013), la corruption (Un homme intègre, 2017) ou encore la peine de mort (Le diable n’existe pas, 2020). Dans tous ses documentaires et films, il “a directement et indirectement attaqué et humilié la République islamique avec son regard destructeur”, regrette donc Iran Newspaper.

“Les festivals et cérémonies comme Cannes et les Oscars sont soutenus financièrement et politiquement par les dirigeants de leur pays, et ils n’adressent de louanges qu’aux films et cinéastes qui servent les objectifs de ces derniers”, assène encore le média gouvernemental.

“Le porte-parole des Occidentaux”

Iran Newspaper feint de regretter que Rasoulof “ne soit pas resté en Iran, comme de nombreux autres réalisateurs”, afin de “montrer à la fois la laideur et la beauté” du pays dans ses films. “Mais il a été trompé par le glamour et les faux slogans des Occidentaux et est devenu leur porte-parole”, dénonce le média d’État.

Un autre média étatique accuse le cinéaste d’avoir “vendu son pays à l’Occident” en quittant le pays et se rendant en Europe. “Il semble que nous assistions à une série d’événements prévus pour lui assurer la Palme d’or”, lance Hamshahri, organe de la mairie de Téhéran.

Le quotidien compare Rasoulof au cinéaste turc Yilmaz Güney (1937-1984) qui avait été sacré à Cannes, en 1982, pour son film Yol. La permission. Condamné pour son engagement kurde, le réalisateur “s’était évadé de prison et s’était rendu en Suisse pour monter son film”, raconte Hamshahri. Il s’était ensuite installé en France. “L’opposition du gouvernement turc à la présence illégale d’un criminel en France avait aidé le film et son réalisateur à remporter la Palme d’or”, assure le média de la municipalité.

L’exil, une “troisième voie”

Dans les médias de la diaspora, le son de cloche est bien sûr tout autre. Le traitement des artistes par les autorités iraniennes reste similaire à celui choisi par les régimes totalitaires de l’ex-Allemagne de l’Est et de l’Union soviétique, constate ainsi le média d’opposition Iran International. “Si les artistes veulent progresser et recevoir du soutien, ils doivent se soumettre aux exigences du gouvernement”, indique-t-il.

Ainsi, avant de quitter l’Iran, Rasoulof devait faire face “au dilemme de la censure ou de l’isolement dans son pays”, estime le site, établi à Londres. Cependant, Rasoulof a choisi” une troisième voie : combattre la tyrannie à travers le cinéma, depuis l’Europe”, écrit Iran International.

Le soutien de l’ami Jafar Panahi

En Iran, le destin de Rasoulof est associé à celui du célèbre cinéaste Jafar Panahi : les deux amis et collègues avaient déjà été arrêtés en 2009, lors du tournage d’un film, pour avoir soutenu le “mouvement vert”, qui contestait la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence. Ils sont en Iran “les pionniers du cinéma social sans autorisation”, note Radio Zamaneh, un média de la diaspora situé aux Pays-Bas :

“Panahi et Rasoulof ont montré aux cinéastes iraniens qu’il était possible de réaliser des films sans budget et de réussir à être sélectionnés dans de prestigieux festivals étrangers.”

Jafar Panahi a salué la sortie de son collègue du pays. “Comme Don Quichotte défiant les moulins à vent, le ministre [de la Culture et de l’Orientation islamique] continue de menacer les cinéastes iraniens et de promettre la mort du cinéma indépendant”, a écrit Panahi sur sa page Instagram. “Mais quel faux rêve ! Le ministre sait bien que ce qui restera à la fin, c’est le cinéma indépendant iranien. Soit dans le pays, soit dans le monde entier, grâce à des cinéastes comme Rasoulof.”

Récemment, le journal iranien Etemad a rapporté que “71 films clandestins”, dont des documentaires, des courts-métrages et des longs-métrages, avaient été envoyés d’Iran pour participer à l’édition 2024 du Festival de Cannes. “Il suffit de regarder les stands vides de la République islamique à Cannes pour se rendre compte de la faillite du gouvernement”, note de son côté Radio Zamaneh.


Les Graines du figuier sauvage, le nouveau film de Mohammad Rasoulof, sortira bientôt en France, à une date qui reste à préciser.